Partie I : Ère pré-liseuse
Aujourd’hui, les livres n’ont jamais été aussi accessibles et il est possible, à l’aide d’une tablette, d’un téléphone intelligent ou encore d’une liseuse, de transporter sans peine l’entièreté d’une bibliothèque avec soi. Une idée qui n’aurait sans doute pas déplu à nombre de nos prédécesseurs, en témoigne la bibliothèque miniature de vélins des Jacobites[1] ou encore, celle de Napoléon Bonaparte qui était connu, selon ses biographes, pour se déplacer avec une bibliothèque portative qui lui garantissait une soixantaine d’ouvrages sous la main[2]. Les appareils numériques de lecture ont permis de concrétiser ce rêve et leur histoire aussi fulgurante que foisonnante, nous l’enseigne.
À l’heure actuelle, la liseuse ne possède pas du tout le monopole de la lecture numérique : elle partage les marchés avec beaucoup d’autres outils tels que les tablettes ou les téléphones intelligents. La désignation appareils numériques de lecture, employée dans cet article, réfère donc à tout appareil portable doté d’un écran qui permet le stockage et la lecture de livres numériques ou de périodiques[3]. Cet article, en deux temps, propose un bref inventaire chronologique de la succession de ces appareils ainsi que de leurs modèles qui ont été les plus novateurs. Cette première partie met sous la loupe les innovations technologiques qui ont précédé l’arrivée de ces outils modernes, mais qui ne peuvent, pour une raison ou une autre, être qualifiées comme tel.
Si la paternité du concept de liseuse peut être sujette à débat, l’un des prototypes les plus aboutis est attribué à une maîtresse d’école et inventrice espagnole, Angela Ruiz Roble[4]. En 1949, alors qu’elle cherche une solution pour diminuer le poids des livres que ses étudiants transportent vers l’école, Ruiz Roble imagine et crée l’encyclopédie mécanique. La forme de son prototype s’inspire d’une valise qui, une fois ouverte, permet la lecture du contenu scolaire désiré. L’encyclopédie mécanique est équipée d’un mécanisme de bobines, monté sous un écran de verre, entre duquel est posé une loupe qui permet de mettre en gros plan les portions d’un texte. L’appareil fonctionne selon un système d’air comprimé où les étudiants peuvent ajouter des bobines d’information avec des contenus de lecture préchargés[5]. Les bobines qui peuvent être illustrées, servent à contenir du texte dans toutes les langues et les matières académiques désirées. L’encyclopédie mécanique est équipée d’une lampe pour permettre aux étudiants de travailler dans la noirceur. Elle contient aussi une calculatrice et un espace d’enceinte pour le son. Malheureusement, après deux demandes de brevet[6] : une première soumission pour que l’appareil serve à la lecture et une deuxième pour qu’il serve à pratiquer des exercices, Ruiz Roble n’arrive pas à obtenir le financement nécessaire et l’encyclopédie mécanique reste à l’état de prototype.
En 1986, Franklin Electronic Publisher introduit sur les marchés le Spelling Ace[7]. Le Spelling Ace est un appareil qui permet de vérifier l’orthographe des mots après les avoir écrit phonétiquement sur un clavier. Bien qu’il ne soit pas destiné à proprement dit à la lecture, l’appareil utilise la même technologie de micro-ordinateur que les premières liseuses. Il peut récupérer de l’information dans une base de données et l’afficher sur un écran de cristaux liquides. La réponse sur les marchés est sensationnelle et la compagnie vend plus de 800 000 unités en deux ans[8]. Autre précurseur de la liseuse, développé par le gouvernement de défense américain entre 1980 et 1989, le Defense Dept Sponsors[9] est un appareil de lecture portatif qui doit permettre aux soldats d’accéder rapidement à de l’information sur le terrain, notamment sur la maintenance des appareils militaires. Le projet est cependant arrêté après la fabrication de quatre prototypes.
Durant les années qui suivent la création de l’encyclopédie mécanique et jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, les outils numériques de lecture sont peu développés. Ils ne dépassent pas, hormis le Spelling Ace dont la catégorisation porte à débat, le stade de prototype. Le livre numérique est à ses premiers balbutiements et le format PDF qui va éventuellement permettre de consulter des textes sur les applications de lecture, n’existe pas encore. Le créateur du livre numérique est Michael Hart de l’université de l’Illinois. En 1971, il fonde le projet Gutenberg dont la visée est de diffuser librement des œuvres littéraires tirées du domaine public[10]. À l’instar des livres anciens, fabriqués à l’unité par le travail solitaire des moines copistes, la création des premiers livres numériques est aussi très fastidieuse. Elle débute le 4 juillet avec la retranscription tapuscrite de la déclaration d’Indépendance des États-Unis. Le fichier de Hart pèse 5 ko et est rédigé en lettres majuscules puisque les lettres minuscules n’existent pas encore. Un message est envoyé aux 100 usagers du réseau pré-internet de l’université afin de les informer de l’emplacement du fichier. Téléchargé par six personnes, le travail de Hart signe la naissance du livre numérique. Le projet Gutenberg ne prend cependant son véritable essor qu’au tournant des années quatre-vingt-dix avec la naissance du web qui va faciliter la circulation des documents numériques. C’est également au même moment que va débuter la commercialisation des premiers outils numériques de lecture.
En 1992, Sony corporation introduit deux appareils qui permettent la lecture : le Bookman ainsi que le Data Discman. Les deux modèles sont lancés la même année afin de se faire compétition. Le Bookman permet de lire des logiciels de référence qui contiennent des publications électroniques et des encyclopédies. Il s’agit d’un appareil à clapet, équipé d’un écran LCD et d’un clavier QWERTY. Il possède également des contrôles de navigation rudimentaire, soit des flèches permettant de naviguer dans quatre directions différentes, des touches de fonction et deux boutons pour appuyer sur oui et non. Le Data Discman est quant à lui, introduit sur le marché américain à la fin de l’année 1991, mais rencontre peu de succès en dehors du Japon où il s’écoule à plus de 90 000 exemplaires dans les mois qui suivent. Tout comme le Bookman, l’appareil peut lire des livres de référence, des dictionnaires de langues étrangères et des romans. Le seul CD-Rom littéraire proposé à l’époque est « Library of the Future[11] » qui contient dans sa première édition environ 450 ouvrages[12] . Il regroupe des œuvres allant de la fiction à la philosophie, en passant par le théâtre, la science, la théologie et la politique. Les critères utilisés pour choisir les œuvres sont les suivants : l’ouvrage, sans copyright, doit être disponible en livre numérique et être enseigné dans le cursus universitaire depuis plusieurs décennies.
Il est difficile de dire si Napoléon Bonaparte aurait troqué sa bibliothèque portative pour l’un des premiers appareils de lecture numérique. Le contenu des bobines pré-chargées de l’encyclopédie numérique était somme toute assez limité, tandis que le Spelling Ace contrairement au Defense Dept Sponsor, n’aurait eu que peu d’utilité sur un champ de bataille. Le salut littéraire de Bonaparte se trouve donc peut-être dans le Bookman et le Data Discman qui, avec leur logiciel de référence et le CD-ROM, Library of the futur, tout en demeurant très portatif, offrait bien plus qu’une soixantaine d’ouvrages à lire.
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[1] La bibliothèque jacobite : Une liseuse avant l’heure. (s. d.). ActuaLitté.com. Consulté le 5 mars 2023, à l’adresse https://actualitte.com/article/45282/insolite/la-bibliotheque-jacobite-une-liseuse-avant-l-039-heure
[2] Le Kindle personnel de Napoléon, une Liseuse Impériale Itinérante. (s. d.). ActuaLitté.com. Consulté 5 mars 2023, à l’adresse https://actualitte.com/article/22602/bibliophilie/le-kindle-personnel-de-napoleon-une-liseuse-imperiale-itinerante
[3] Liseuse. (s. d.). Consulté le 13 mars 2023, à l’adresse https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26540160/liseuse
[4] En 1949, elle inventait l’ancêtre mécanique du lecteur de livre numérique. (s. d.). ActuaLitté.com. Consulté le 5 mars 2023, à l’adresse https://actualitte.com/article/20500/insolite/en-1949-elle-inventait-l-ancetre-mecanique-du-lecteur-de-livre-numerique
[5] Espagne, 1949 : Une enseignante inventait le livre numérique. (s. d.). ActuaLitté.com. Consulté le 5 mars 2023, à l’adresse https://actualitte.com/article/59171/insolite/espagne-1949-une-enseignante-inventait-le-livre-numerique
[6] Staff, H. C. (2021, janvier 4). Angela Ruiz Robles—Complete Biography, History and Inventions. History-Computer. https://history-computer.com/angela-ruiz-robles-complete-biography/
[7] Franklin Electronic Publishers, Inc. | Encyclopedia.com. (s. d.). Consulté le 13 mars 2023, à l’adresse https://www.encyclopedia.com/books/politics-and-business-magazines/franklin-electronic-publishers-inc
[8] « Spelling Ace » : Perhaps the First Hand-Held Electronic Book, or e-Book : History of Information. (s. d.). Consulté le 13 mars 2023, à l’adresse https://www.historyofinformation.com/detail.php?entryid=1249
[9] The Defense Dept Sponsors « Personal Electronic Aid to Maintenance » : The First Portable Ebook Project : History of Information. (s. d.). Consulté le 7 mars 2023, à l’adresse https://www.historyofinformation.com/detail.php?id=4842
[10] Project Gutenberg. (s. d.). Project Gutenberg. Consulté le 26 février 2023, à l’adresse https://www.gutenberg.org/
[11] Sony Data Discman. (s. d.). Consulté le 26 février 2023, à l’adresse http://www2.iath.virginia.edu/elab/hfl0014.html
[12] The Library of the Future : A New Electronic Canon. (s. d.). Consulté le 5 mars 2023, à l’adresse http://www2.iath.virginia.edu/elab/hfl0126.html