POIESIS est un projet artistique de l’artiste multidisciplinaire Karoline Georges mis en ligne en 2022. Donner une définition simple à cette œuvre composite est une tâche difficile, car elle mêle la création à une démarche d’écriture auto-réflexive. Le projet est donc à la fois l’accomplissement d’une œuvre d’art littéraire numérique, mais aussi une recherche sur la démarche de création de cette œuvre (et de l’ensemble de la pratique de Karoline Georges).
L’œuvre comporte 18 volets. Dans chaque volet, Georges mêle l’exploration artistique numérique à la littérature afin de sonder des thématiques liées au geste créateur, à la composition de l’imaginaire, à l’évolution de la pratique artistique avec le temps et à la compréhension de l’identité à l’ère numérique.
Chaque réflexion littéraire ou essayistique est complémentée de sculptures numériques ou de photographies numériques, ces dernières étant générées par algorithme ou avec une intelligence artificielle. Les sculptures et les images représentent des corps souvent déformés de manières surprenantes ou entrelacés de pièces métalliques. Le tout ne va pas sans évoquer la science-fiction du Body Horror où la condition humaine est transcendée par le biais de mutations, de modifications au corps ou de combinaison avec des machines.
Créer à partir du deuil
À travers POIESIS, Karoline Georges propose aussi une réflexion esthétique et sensible au sujet du deuil. C’est peu de temps après le décès de sa mère, de sa grand-mère et de ses chats, « laissant derrière elles une maison ancestrale trop silencieuse » que l’artiste entreprend ce projet numérique. La créatrice tente de cerner la mort, en tant qu’entité, en tant que concept esthétique, mais aussi en tant réalité affectant son imaginaire créatif. L’artiste met ainsi en mots la rencontre entre son imaginaire, sa vie réelle (bien qu’elle ne se réclame pas de l’autofiction) et les outils numériques qui nourrissent sa démarche d’écriture.
« En filigrane, à la surface de mon imaginaire, j’ai vu une femme s’avancer, nue, là où je me trouvais. Je savais qu’elle marchait depuis très longtemps et que le décor de son avancée ne ressemblait pas au mien. J’ai vu autour du personnage des arbres morts, des souches pétrifiées.
Un mois plus tôt, j’avais déposé un dernier baiser sur le front de ma mère, quelques minutes après son décès. Sa peau, froide, sèche et presque translucide, laissait paraître son crâne. Dans la lueur matinale, le visage de ma mère ressemblait à une écorce sur le point de se détacher de son bois.
En modélisant la souche de l’arbre mort, je préserve une trace tridimensionnelle, un double virtuel de la carcasse qui, elle, disparaîtra du paysage, décomposée en nutriments avalés par la forêt. »
Karoline Georges, « BILANX », dans POIESIS, 2022.
Le projet se dresse ainsi en sorte d’autopsie de l’imaginaire biomécanique de Karoline George. Ce projet permet à l’artiste de sonder sa propre création en revisitant ses écrits déjà publiés et en tentant de prédire ce qui alimentera ses prochains efforts artistiques, mentionnant notamment la crise environnementale comme porteuse d’un imaginaire de la fin des humains. POIESIS engage ainsi un curieux jeu de miroir, où l’autrice de science-fiction se projette elle-même dans le futur afin d’imaginer ce qui pourra servir d’inspiration afin d’écrire des futurs encore plus lointains.
Titre : POIESIS
Créatrice, programmation et conception Web : Karoline Georges
Date de parution : 2022
Lien vers l’œuvre : https://www.karolinegeorges.com/poiesis
Type d’œuvre : œuvre numérique multimédiatique
Support numérique utilisé : site web