Hundred Rabbits (ou 100r) est un petit collectif d’artistes pour le moins atypique, opérant sur un studio flottant, un voilier d’à peine 10 mètres carrés nommé Pino. Le collectif fait l’édition d’œuvres littéraires de manière entièrement indépendante, à même ce petit îlot. Ayant traversé de long en large l’océan Pacifique, son expérience au cœur de régions isolées lui a offert un regard nouveau sur les limites de la technologie moderne et sur ce qu’elle peut faire en contexte de création. Vivre sur un navire, terrain de jeu au cœur de ses explorations éditoriales, lui a fait prendre conscience de la dépendance énergétique liée aux outils numériques. Le collectif s’est alors donné comme but de concevoir ses propres outils et de réduire sa consommation d’énergie avant de viser une autonomie complète, s’assurant ainsi de la fiabilité et de la durabilité des programmes développés.
Auparavant nommé Drownspire, le collectif originaire du Québec, composé de l’écrivain.e et cartooniste Rek et de l’artiste, programmeur.euse et musicien.ne Devine, se consacrait à la création de jouets artistiques, de vêtements et de bijoux. Iels ont toutefois revu leur mission pour se consacrer à la création de logiciels d’édition et de graphisme open-source, tout en contribuant aux projets d’autres organismes et créateurs.
Leur mission
Afin de faire la transition vers leurs nouveaux objectifs et de contrer les multiples difficultés qu’iels ont pu rencontrer en mer, le collectif a ainsi développé des moyens d’accéder au Web et de créer des œuvres numériques même en étant hors-ligne. Dans leur volonté de se concentrer sur le perfectionnement de leurs logiciels afin de les rendre plus efficaces à long-terme, mais aussi davantage portatifs, les membres du duo ont eu à trouver des solutions qui se sont d’abord avérées décevantes, les outils développés encombrants l’espace très limitée du bateau.
Se faisant, ils ont pu constater l’inefficacité de la technologie moderne face aux contraintes d’espace, de déplacement et de consommation d’énergie, et contestent l’utilisation à la fois massive et inconsidérée que nous faisons des technologies, planifiées pour devenir obsolètes. Le collectif cherche ainsi des solutions low-tech et documente ses démarches dans l’espoir de sensibiliser la population à une utilisation plus éclairée et résiliente des outils numériques. Iels travaillent maintenant à trouver des solutions durables, pratiques et accessibles, ce qui se traduit par la création d’outils légers, rétrocompatibles et libres d’accès.
Afin de remplacer les logiciels énergivores et payants comme Photoshop, iels ont créé Electron, qu’iels désignent comme « une petite machine virtuelle avec une focalisation sur l’implémentarité » (notre traduction), permettant de faire fonctionner n’importe quel de leurs programmes sur un émulateur. Parmi les outils proposés, on peut trouver : Noodle, un programme de dessin fonctionnant sur Nintendo DS ; Nasu, un éditeur conçu pour créer des polices 8 bits et des sprites ; Adelie, un outil de traitement de texte compatible avec Uxn, une pile informatique personnelle créée pour accueillir de petits outils et jeux et programmable dans son propre langage. Uxn peut fonctionner sur d’anciennes consoles comme la Playdate et la PS Vita. Tous ces outils sont accessibles à tous, leur code source étant disponible gratuitement sur le site du collectif, et peuvent servir au travail d’un éditeur.
Le duo a donc choisi de se concentrer sur l’invention et la documentation de nouveaux moyens de réutiliser et de réparer des appareils devenus trop anciens pour être compatibles avec la plupart des systèmes. Les outils ainsi développés sont tout d’abord conçus pour fonctionner hors ligne, mais aussi pour ne plus dépendre des sources principales d’énergie : ils fonctionnent ainsi grâce à un minimum de puissance tirée d’anciens appareils et systèmes d’exploitation. Grâce à leur utilisation inventive des technologies désuètes, le collectif peut poursuivre la mise en ligne de ses découvertes et aider d’autres créateurs en trouvant des solutions qui répondent à leurs besoins, même lorsque les moyens de se connecter au réseau sont limités.
La création comme lieu de connexion
En plus de tous ces logiciels, iels en sont venu.es à concevoir le programme Left, un éditeur graphique en texte brut écrit dans Uxntal, afin de rendre possible la création d’histoires inspirées de leurs voyages et de leurs découvertes. Sont nés de cette initiative « A Thousand Rooms », un album et récit d’apprentissage jeunesse inspiré de Borges, et « Wiktopher », une éco-fiction reflétant leurs propres expériences de voyages. Le collectif a également choisi de partager son expérience de navigation sous la forme d’un carnet de voyage, « Busy Doing Nothing », disponible en impression à la demande.
Toutefois, la littérature n’est pas étrangère aux contraintes d’espace et d’obsolescence technique : la dégradation des livres papier, lorsqu’ils sont soumis à d’importantes variations de température et à l’humidité sur un bateau, a fait prendre conscience au duo des enjeux liés à l’industrie du livre papier, mais aussi celle du numérique. C’est pourquoi leurs ouvrages sont également disponibles pour le téléchargement en ligne, sur tablette et liseuses. Des versions plus anciennes de leurs livres, comme « Busy Doing Nothing », sont également accessibles gratuitement sur le Web, mais elles n’ont pas été mises à jour et donc ne contiennent pas de nouveaux textes et illustrations.
Les livres et les films sont monnaie d’échange courante entre marins et le collectif insiste sur l’importance de voyager à travers eux. Vous pouvez découvrir les livres qui accompagnent leurs périples sur leur site.