Peu de temps avant la clôture des résidences de création littéraire numérique Électrolitt 2023, Claudie Létourneau et Alicia Chabot, auxiliaires de recherche pour le laboratoire Ex situ et le pôle Québec de Littérature québécoise mobile, ont eu l’occasion de rencontrer les trois artistes en résidence afin de s’entretenir sur leurs projets et leur démarche artistique.

Les résidences Électrolitt, organisées par les productions Rhizome en collaboration avec la maison d’édition Alto, ont pour objectif d’offrir du financement et de l’accompagnement sous forme de mentorat aux artistes désireux d’investir le numérique dans la réalisation d’un projet. Nous sommes donc allées à la rencontre des artistes retenus pour la deuxième édition des résidences afin d’en apprendre davantage sur leurs parcours et leur projet de création.

La première entrevue s’intéresse au parcours de Nadia Morin. Elle a travaillé sur un projet de collage numérique alliant image et poésie, en compagnie de son mentor, Mathieu Arsenault.

Artiste visuelle depuis plusieurs années, Nadia Morin se spécialise dans la création de collages numériques. Détentrice d’un baccalauréat en arts visuels et médiatiques ainsi que d’un certificat en rédaction professionnelle, elle a travaillé pendant sept ans à la Maison de la littérature, où elle était chargée des expositions. Son parcours en arts visuels l’a amené à participer à plusieurs expositions, dont à Méduse, à la maison Tessier dit Laplante ainsi qu’à la Bibliothèque Claire-Martin. Tout récemment, elle a réalisé la murale géante au Théâtre de la Bordée.

Dans ses projets, elle marie généralement des photos d’archives du milieu circassien (trapézistes, acrobates…) ou aquatique (baigneur.ses, nageur.euses…) à des éléments de sa composition. Sa série de collages « Dis-moi un secret », entamée il y a quelques années,  s’inspire de secrets récoltés de manière anonyme : elle souhaite qu’une partie de ces collages soient investis par le numérique afin d’alimenter sa création.

Dans le cadre de sa résidence, Nadia souhaitait réaliser un collage numérique inspiré de son univers surréaliste et onirique et en y intégrant de l’animation 3D. Il mettra également en mouvement un poème co-écrit avec le poète Pierre-Olivier Bergeron-Noël. Cette création, qui nous transporte vers un autre univers, se penche sur les vertiges qu’on porte en soi, sur les émotions qui peuvent survenir. Couleurs pastel et textures variées se côtoient donc pour former une œuvre poétique, fantaisiste et émouvante.

Claudie : Quel était ton objectif en participant à la résidence ?

Nadia : Je souhaitais pousser davantage le côté numérique. Je trouvais que ça restait à explorer. Je ne l’avais pas beaucoup fait, je l’ai fait uniquement en collage numérique, mais de développer ça en univers 3D, je trouvais que c’était une belle façon de pousser mon art un peu plus loin. Du côté littéraire, je trouvais déjà qu’il y avait une poésie dans mes images à proprement parler, le fait de les marier avec un poème, ça apportait un univers un peu plus complet, un peu plus transcendant, si je peux dire, un peu plus immersif pour le visiteur, qui va pouvoir se laisser porter tant par les images, que par le poème. Ce sera à la personne qui va visionner le projet de décider ce sur quoi elle s’attarde. Est-ce que c’est l’ensemble, est-ce que c’est davantage l’univers visuel, est-ce que ce sont les mots qui lui parlent davantage ? Je trouvais intéressant de créer un projet qui allie tous ces éléments-là.

Alicia : Est-ce qu’il va y avoir une dimension sonore ?

Nadia : J’aurais aimé ça, [mais] je sens que je manque de temps pour la développer. C’est ce que j’avais mentionné quand j’avais déposé le projet, que si j’avais le temps, j’aimerais intégrer une dimension sonore pour que ça soit encore plus immersif. Pour l’instant, le texte […] va être vraiment intégré à l’image. Si j’ai le temps, j’aimerais peut-être en ajouter, [mais] peut-être que ce sera dans les phases à développer à la suite de la résidence.

Alicia : Est-ce que tu as rencontré des défis ou des problèmes techniques ?

Nadia : Oui vraiment, parce que le logiciel que j’utilise présentement, qui m’a été référé par mon mentor et qui s’appelle Blender, a un nombre incalculable de fonctions. […] Présentement je me sens débutante dans Blender, donc le défi c’était vraiment d’apprendre un nouveau logiciel, de suivre des tutoriels, de poser des questions, de faire des essais-erreurs… […] Un autre défi, ça a été [d’envisager] différents scénarios, du plus simple au plus complexe. Mon mentor me disait : « Vas-y du plus humble au plus éclaté. Qu’est-ce que t’aimerais dans l’idéal, si tu réussis tout ? ». En fait, ce n’est même pas une question de réussite, c’est [surtout] le temps que j’ai […] pour que ça puisse réussir. Je dirais que les enjeux, ce sont vraiment des enjeux techniques, d’apprendre un nouveau logiciel, puis de voir ce qui est possible. Tu sais, on part avec l’idée qu’on va tout réussir, que ça va être merveilleux, que ça va être fluide, que ça va être magnifique, mais au final pour se rendre là, il y a quand même beaucoup d’étapes.

Ça a pris beaucoup d’humilité. Chaque fois qu[e] je vois mon univers créé, c’est quand même une victoire, parce que je n’ai jamais fait ça. J’étais fière quand même, je trouvais ça beau. C’est quand même une réussite en soi à chaque petite étape de franchie.

Nadia Morin

Alicia : Est-ce qu’il y a une dimension interactive dans le travail ? Tu as parlé de visiteurs, donc dans une exposition [physique] peut-être ? Ou surtout virtuelle ? Est ce que ce serait une dimension possible, par exemple, si le spectateur ajoutait ses propres poèmes, suggérait des images ?

Nadia : Dans une autre étape peut être, C’est sûr que j’aurais aimé pouvoir proposer l’univers aux visiteurs, pour qu’il puisse apporter sa propre touche. […] Il y avait au musée des Beaux-arts, dans l’exposition de Riopelle, un endroit où les gens pouvaient peindre quelque chose à la façon de Riopelle, puis je trouvais ça super intéressant. Ça m’inspirait beaucoup que les gens puissent créer un collage à partir de leurs propres images, mais dans un univers déjà créé ou un thème imposé, puis qu’ils puissent intégrer leurs propres mots, peut-être. Qui sait, on rêve !

À la question du genre littéraire auquel appartient l’œuvre, Nadia nous informe qu’elle a choisi la forme de la poésie pour alimenter son projet de collage en animation 3D, car elle estime que c’est le genre qui se marie le mieux à son univers.

Nadia : Je pens[ais] à la poésie, puisque c’est une forme brève très évocatrice. Je cherchais une forme littéraire qui, d’emblée, suggère des images. Pour moi, la lecture de poésie, peut-être parce que j’ai un background d’artiste visuelle, le nombre d’images qui se crée dans ma tête, je trouvais ça intéressant. Justement avec l’univers 3D que j’étais en train de créer je trouve que la poésie c’est le meilleur genre pour coller à mon projet.

Alicia : Ça a aussi une dimension personnelle, aussi.

Nadia : Personnelle, c’est bien dit, parce qu’on dirait que les gens font leur propre interprétation. La poésie permet de dégager tout plein de sens très différents les uns des autres. Même chose avec mes collages en fait, l’interprétation que les gens s’en font est très différente les unes des autres. Pour faire un pont, peut-être, avec le côté littéraire, ma série de collages numériques partait de secrets anonymes. Les gens écrivaient un court passage dont je m’inspirais dans un texte pour pouvoir créer mes collages. […] C’est un défi, mais c’est aussi une belle contrainte. Tu sais, forcément il y a une thématique, mais c’est comment la réinterpréter autrement, comment la porter ailleurs sans que ce soit plaqué.

Claudie : Est-ce que tu vas les chercher dans ton entourage, ces secrets-là, ou est-ce que tu fais des sondages sur les réseaux sociaux ?

Nadia : [Des] sondages sur les réseaux sociaux. J’ai créé deux boîtes de courriels anonymes. Les gens avaient le mot de passe de la première et envoyaient [leurs secrets] à la seconde, dont moi j’avais le mot de passe. […] Je spécifie dans la procédure de ne jamais signer, de supprimer aussi dans les éléments envoyés pour être sûr que la personne suivante ne lise pas le secret de l’autre, même si elle ne sait pas c’est qui. Je ne voulais pas savoir de qui il s’agissait, que ce soit des gens que je connaisse ou que je ne connais pas, ce n’est pas ça l’important. Je ne voulais pas être influencée. Quand le projet a commencé, j’apportais aussi des boîtes de secrets physiques dans des spectacles, donc les gens pouvaient en déposer [de manière anonyme]. J’en ai encore que je n’ai pas lu d’ailleurs. Il y en a, après coup, qui me l’ont dit, mais c’est libre à eux, je ne voulais pas le savoir d’emblée. Ils me disaient : « Ah la façon dont tu as illustré mon secret ça me touche énormément, c’est parfait, c’est un peu ça que j’avais en tête inconsciemment ».

Concernant l’expérience de mentorat vécue pendant la résidence, Nadia est très emballée de nous parler de son expérience avec un artiste qu’elle estime et dont elle apprécie le travail. Au-delà de son admiration pour son œuvre, elle nous parle avec joie de cette collaboration, ce match qui n’aurait pas pu être plus parfait.

Alicia et Claudie : Est-ce que c’est vous qui avez fait la demande pour travailler avec Mathieu Arsenault ? Qu’est-ce qu’il y a de particulier à travailler avec lui ? 

Nadia : Non en fait j’ai été agréablement surprise, justement parce que je connaissais son travail. Quand on m’a annoncé que c’était lui, j’étais comme : « Oh mon Dieu, il n’y a pas de de fit plus parfait ». […] C’est drôle, je trouve ça super intéressant de le vivre, parce que tu sais, un mentor, c’est quand même un apport significatif, d’autant plus quand tu pars de zéro dans un domaine. C’est le fun de pouvoir échanger concernant la vision artistique créative. Parfois, [je lui demandais] « Qu’est-ce que tu penses si je fais telle ou telle affaire ? », concernant du rendu visuel, ou « Est-ce que c’est réaliste de faire telle ou telle affaire dans ce temps-là ? ». C’est cette forme d’échange-là que je trouve pertinente […], parce que c’est sûr que c’est inspirant. Il m’a montré un projet sur lequel il travaille, qui est complètement différent de mon univers, mais c’est quand même intéressant de voir jusqu’où il a poussé ses connaissances en animation 3D, voir ce qu’il est rendu capable de faire. Ça donnait espoir, par moment. Ce sont ces échanges-là que je trouve vraiment super dans le cadre du mentorat.

Claudie : Qu’est-ce que tu envisages pour l’avenir du projet après la résidence ?

Nadia : Dans le cadre de la résidence, ça va finir en une courte animation, donc j’aimerais la développer un peu plus avec le temps, qu’il y ait des transitions, que ce soit un petit peu plus narratif, que le poème évolue aussi, non seulement visuellement, mais aussi du côté littéraire […]. Dans le meilleur des mondes, j’aimerais le présenter numériquement, mais éventuellement, ça me ferait vraiment plaisir de l’intégrer dans une exposition, puis d’apporter dans une autre étape, une dimension sonore, puis peut être interactive aussi. Il y a tellement d’avenues possibles ! […] Je dirais que c’est ce qui est le fun avec une résidence, mais qui est aussi un défi, c’est qu’on s’emballe très rapidement parce que c’est tellement stimulant de voir les avenues possibles d’un projet. C’est de voir aussi comment la résidence va influencer le reste de ma pratique artistique : peut-être que je vais pencher plus vers le 3D, peut-être que non, peut-être que ça va être un beau mix des deux… À suivre ! En tout cas, c’est vraiment satisfaisant de voir des possibilités que je n’avais pas entrevues avant, puis je pense que c’était ça le but de la résidence.

Nadia nous informe en terminant que cette expérience de résidence et ce premier contact avec l’animation 3D lui ont donné envie d’explorer d’autres horizons dans le cadre de sa pratique artistique. Elle estime que ce projet de collage continuera de se développer au cours des prochaines semaines, des prochains mois. Nous lui souhaitons le meilleur pour la suite ! 


Les microrésidences sont une présentation des Productions Rhizome, en collaboration avec la maison d’édition Alto. Le projet, soutenu par le Conseil des arts du Canada, est né dans le cadre de la Communauté de pratique « Place et posture de la littérature québécoise en ligne ».

Pour en savoir plus sur l’artiste et ses projets, nous vous invitons à consulter son site web, ainsi que sa page Instagram.

Restez à l’affût des prochains entretiens, qui seront publiés ici, sur le Carnet de la Fabrique du numérique ! 


Tous les collages sont issus de la collection personnelle de l’artiste.

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