Lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet des bibliothèques, il y a de fortes chances que l’on pense spontanément aux milliers de livres qu’elles contiennent, dû à l’imaginaire que ces institutions culturelles évoquent. Or, avec l’arrivée du numérique et le développement effréné des nouvelles technologies, ces lieux publics vivent des bouleversements qui les appellent à renouveler leurs services pour s’adapter aux pratiques culturelles actuelles. Ainsi, ces sanctuaires de la lecture sont amenés à se transformer en espaces d’échanges et de création, où le livre s’inscrit désormais dans une constellation d’objets culturels et médiatiques au lieu d’en être le principal noyau.
L’incidence d’une telle évolution implique de reconsidérer le rôle que l’on accorde à ces établissements, puisque l’on constate que l’accès au savoir n’est plus le seul axe de développement des bibliothèques : une approche communautaire est aussi favorisée dans la perspective d’offrir des services et des formations aux citoyen·nes tout en entretenant des liens avec les organismes locaux, les bibliothèques assumant davantage leur fonction de « troisième lieu ». Si, à l’image des bibliothèques multifonctionnelles, les troisièmes lieux (ou tiers lieux), « désignent aujourd’hui une variété de possibles extrêmement larges » (Servet, 2018), il est tout de même possible de les considérer comme complémentaires au premier lieu, soit la sphère familiale et au deuxième lieu, la sphère professionnelle (Servet, 2018). Pour Mathilde Servet, spécialiste des bibliothèques comme troisième lieu, « les bibliothèques troisième lieu ont élargi le périmètre de leurs missions. Autour du livre, de l’accès à l’information – qui constitue toujours le cœur des équipements – viennent s’agréger nombre d’autres usages et services » (Servet, 2018). L’idée d’un troisième lieu fait donc place à la volonté de proposer un « espace total », où toutes les activités de la vie humaine, qu’elles soient sociales, artistiques et professionnelles, convergeraient. Cet espace, toutefois, se voit décentré en regard des pratiques et des services numériques qu’offrent désormais ces institutions.
Les exemples suivants ont pour dénominateur commun de mettre en lumière cette volonté de renouvellement de la part de ces institutions et, surtout, leur prise en compte du numérique dans cette entreprise pour la bonification d’un espace total.
Stimuler les usages du numérique en bibliothèque
Au cœur de la ville de Québec, la nouvelle bibliothèque Gabrielle-Roy est ouverte au public depuis 2024. Par sa refonte architecturale et conceptuelle, elle cristallise la volonté des bibliothèques de s’adapter aux nouvelles pratiques culturelles et artistiques au sens large. Sur le plan numérique, un incubateur créatif est mis sur pied pour favoriser l’expérimentation et la création interdisciplinaire (Incubateur créatif, 2024). En plus, la bibliothèque Gabrielle-Roy, mais aussi les bibliothèques Félix-Leclerc et Paul-Aimé-Paiement, accueillent chacune un médialab, un laboratoire médiatique où il est possible d’utiliser du matériel informatique sur place à des fins créatives. Une gamme importante d’outils est en effet disponible : de l’équipement Apple, des logiciels de montage vidéo, du matériel audio, de l’équipement pour la photographie, pour le graphisme, pour la création électronique et une imprimante 3D (moyennant des coûts d’impression) sont à la disposition des membres. Il est d’ailleurs possible d’emprunter ces équipements sous certaines conditions.
Dans la visée d’exploiter les ressources numériques en ligne, la Bibliothèque de Québec entretient une chaîne YouTube de contes pour favoriser l’éveil à la lecture des enfants en bas âge.
Collections numériques et services en ligne
Avec le développement des technologies numériques et l’évolution des pratiques de lecture s’impose l’enjeu de la numérisation, dont la visée première est de moderniser l’accès à l’information. La Bibliothèque de Québec offre en ce sens une collection importante de documents en ligne constituée de livres, de journaux, de revues, de logiciels d’auto-apprentissage, d’encyclopédies, de musique, de films et d’archives. Sur une plus grande échelle, ces documents sont centralisés sur Astrolabe, un catalogue en ligne qui met à disposition toutes les collections des bibliothèques de Québec. Le réseau des bibliothèques de Montréal possède une infrastructure numérique similaire, en témoigne le catalogue Nelligan.
BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec), partenaire du réseau des bibliothèques de Montréal (puisque la Grande Bibliothèque de Montréal, appartenant à la BAnQ, en fait partie) et accessible à l’ensemble de la population québécoise, s’est également dotée d’une offre numérique conséquente. On peut notamment y emprunter des livres, des vidéos (dont le service d’écoute en continu Kanopy), des revues et des journaux, mais aussi y consulter les archives du patrimoine québécois allant de la presse écrite à des documents divers, comme des cartes postales ou encore des plans municipaux.
Ces initiatives témoignent d’une attention marquée pour la question de l’archivage. Les institutions mentionnées ci-haut participent de cette volonté de préserver, puis d’entretenir la documentation en ligne pour la rendre accessible au plus grand nombre.
Du côté des bibliothèques numériques spécialisées
Des bases de données sont également mises sur pied pour la consultation de documents numérisés spécialisés. Par exemple, la bibliothèque numérique en archéologie, initiative du ministère de la Culture et des Communications, rend disponibles, sous la forme d’une application, la consultation en ligne et le téléchargement des documents du Centre de documentation en archéologie. Est donc accessible l’ensemble de la bibliographie de l’Inventaire des sites archéologiques du Québec (ISAQ). Les documents sont de natures diverses, la base de données regroupant plusieurs milliers de rapports d’interventions archéologiques, plus de 50 000 diapositives et négatifs et jusqu’à 5000 plans architecturaux (Gouvernement du Québec, Consulter la bibliothèque numérique en archéologie).
Biblius, une bibliothèque scolaire entièrement en ligne et destinée à un jeune public, est un autre exemple de bibliothèque numérique spécialisée. Le projet a été lancé en 2021 et plus de 400 titres y sont proposés pour revaloriser la lecture auprès des jeunes élèves du primaire et du secondaire. Les prêts numériques n’obéissant pas à la même logique que les prêts papier, Biblius se conçoit comme une nouvelle approche pour appréhender la littérature et le savoir en général. C’est Bibliopresto, un organisme à but non lucratif, qui est derrière la conception de la plateforme, tout comme celle de pretnumerique.ca, une plateforme québécoise de prêts numériques notamment utilisée par la Bibliothèque de Québec, mais aussi par plusieurs autres réseaux à travers la province, comme le réseau BIBLIO de l’Outaouais ou encore celui de la Montérégie. Des universités québécoises (ainsi que des cégeps) profitent également de ce service, comme l’Université Laval, l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) ou encore le Cégep de Sainte-Foy.
Ainsi, si l’idée d’une bibliothèque en tant que tiers lieu physique est toujours d’actualité, avec la mise en place d’espaces ouverts valorisant les échanges comme c’est le cas à la bibliothèque Gabrielle-Roy, l’ajout de certains services en ligne, comme la location ou la consultation de documents, illustre la volonté d’un élargissement de la mission de ces institutions culturelles, qui s’attaquent à l’archivage numérique et à l’accessibilité des contenus; en témoignent les initiatives de BAnQ depuis 2006.
Références
Bibliothèque de Québec. (2024). Incubateur créatif. https://www.bibliothequedequebec.qc.ca/programmes/incubateur-creatif.aspx.
Gouvernement du Québec. (2024). Consulter la bibliothèque numérique en archéologie. https://www.quebec.ca/culture/patrimoine-archeologie/archeologie/bibliotheque-numerique.
Lalonde, C. (2022). Des « bibliothécaires volants » à la Grande Bibliothèque de BAnQ?. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/culture/775135/livres-des-bibliothecaires-volants-a-la-grande-bibliotheque-de-banq.
Servet, M. (2018). Les bibliothèques, des troisièmes lieux culturels à forte valeur humaine ajoutée. https://www-cairn-info.acces.bibl.ulaval.ca/revue-l-observatoire-2018-2-page-71.htm.