Le balado Hantées est produit par Transistor Média et diffusé sur Ohdio. Il est réalisé par Julien Morissette (saison 1 à 3) et Francis Thibault (saison 4). Il s’agit d’une série où chaque épisode s’inspire d’un lieu réel de la région de l’Outaouais et de l’Ontario pour raconter des histoires mystérieuses et paranormales. On y retrouve des récits de fantômes, de maisons hantées, de banshee – femmes surnaturelles issues de la mythologie celtique islandaise –, et de poltergeist.
Par sa forme, Hantées s’inscrit dans la filiation du projet La guerre des mondes écrit et raconté par Orson Welles – une adaptation du roman du même titre – diffusé en 1938 sur le réseau CBS aux États-Unis. Selon la légende, cette émission aurait semé la panique chez des milliers d’auditeur·ices ayant cru qu’il s’agissait d’un véritable bulletin d’information annonçant une invasion extraterrestre, plutôt que d’une fiction radiophonique.
C’est la réaction – certes à plus petite échelle – que suscite également la série Hantées chez plusieurs auditeur·ices. Lorsqu’on cherche le titre du balado sur les moteurs de recherches, l’une des questions les plus fréquentes est : « Hantées, histoires vraies ou fausses ? » Les commentaires sur les réseaux sociaux témoignent de la même incertitude : un internaute écrit ressentir un sentiment de tristesse et d’étrangeté à l’idée de ne trouver aucun avis de recherche concernant la disparition de Flavie Demers-Côté (personnage porté disparu dans les épisodes 4 et 5 de la deuxième saison). Pourquoi cette forme radiophonique rend-elle les frontières entre réalité et fiction aussi poreuses ?
Tout d’abord, parce que l’univers numérique n’est pas aussi balisé que celui du livre. Pour écouter Hantées, l’auditeur·ice doit se rendre sur la plateforme Ohdio qui héberge une multitude de genres – souvent non clairement étiquetés : séries humoristiques, politiques, documentaires criminels, historiques, roman audio, etc. Hantées, pour sa part, s’inscrit dans le genre du documenteur, qui consiste à imiter le style et la forme du documentaire traditionnel : recours aux archives, entrevues avec des témoins, enquêtes de terrain… Un tel projet n’aurait sans doute pas suscité autant de confusion s’il avait été publié sous la forme d’un livre traditionnel, par exemple, parce que tout ce qui entoure l’objet livre participe à son interprétation : la section où il se trouve en librairie ou à la bibliothèque, le genre auquel il appartient, et parfois même le style de la couverture.
Un autre élément qui accentue ce brouillage entre réel et fiction est le recours aux témoignages de « citoyen·nes ». Ces témoignages fictifs sont interprétés par des acteur·ices de la région de l’Outaouais : l’animateur de radio Jean-Marc Dumoulin est interprété par Martin Vanasse (saison 1, épisode 2), on y retrouve aussi la voix de Marie-Ève Fortier, Nicolas Desfossés, Annie Cloutier et David Gagnon[1]. Leur voix, leur vocabulaire, leur accent et leur performance amplifient la vraisemblance des propos. Ces témoignages sont parfois présentés sous forme d’entrevues enregistrées, d’autres fois comme des échanges par courriel, par téléphone ou en personne. Cette diversité sonore donne l’impression de contraintes réelles auxquelles l’animateur aurait dû s’adapter : un témoin indisponible, un autre disparu et donc des traces ne subsistant que sous forme d’enregistrement et de messages. C’est en discutant avec les gens de la région que certaines histoires voient le jour, mais Julien Morissette insiste sur le fait que les témoignages entendus dans les épisodes sont inventés. L’animateur explique son choix ainsi lors qu’une entrevue à la radio : « Ça me tentait un certain moment d’explorer plus l’aspect de mise en récit et de le faire pas nécessairement avec des personnes qui ont vécu des expériences traumatiques, mais plutôt de nous inspirer de ces lieux-là.[2] »

Enfin, les effets sonores bien « réels » sont un facteur qui participe à l’immersion des auditeur·ices. Julien Morissette ne se limite pas aux studios de Transistor Média : il entraîne ses auditeur·ices sur le terrain. Sur la page Instagram de l’animateur, on voit des photographies prises lors des enregistrements ; par exemple, les épisodes Une retraite silencieuse traumatisante (Chamboisé) et Mystère autour d’un groupe d’études (Chamboisé) (saison 3, épisode 1 et 2) ont été enregistrés dans les maisonnettes du Domaine Chamboisé, lieu même de l’intrigue. Dans l’épisode La ferme Dagg II (saison 2, épisode 5), Julien Morissette attend dans la voiture pendant que l’équipe de AY Paranormal va interroger les dernières personnes ayant côtoyé Flavie Demers-Côté. L’auditeur·ice entend le moteur tourner, les portières s’ouvrir et se refermer. Il doit patienter, partager l’attente et l’incertitude du narrateur – ce qui renforce le suspense et l’effet de réel.
Tous ces éléments, conjugués à la narration à la première personne ainsi qu’à l’utilisation d’archives issues de l’Association du patrimoine d’Aylmer, participent à la perméabilité entre réel et fiction que la forme radiophonique et le genre du documenteur offre au projet Hantées.
Titre : Hantées
Auteur : Julien Morrissette (animation et réalisation, saisons 1 à 3), Francis Thibault (réalisation, saison 4)
Éditeur : Transistor Média (production)
Date : 2023-
Format : balado (en écoute libre sur Ohdio)
[1] Julien Morissette, « Hantées, un balado de fiction paranormale qui mêle le faux au vrai », à Sur le vif, 1 novembre 2022. [En ligne] https://surli.cc/gcjsqh
[2] Julien Morissette, « Entrevue avec Julien Morissette, animateur et réalisateur du balado Hantées », à Pénélope, 30 octobre 2024. [En ligne] https://surl.li/uvxrhk