D’une initiative de l’artiste pluridisciplinaire Louis-Karl Picard-Sioui et édité par la poétesse innue Marie-Andrée Gill (qui avait collaboré au projet Oùrs.land), Le legs est une œuvre collective aux frontières de la littérature et de l’art visuel.
Mettant en dialogue des créations d’auteur.ices et d’artistes autochtones tels Michel Jean, Christine Sioui Wawanoloath, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Isabelle Picard et Eruoma Awashish, l’exposition se présente comme une réflexion anthropologique autour de la culture, de la mémoire et de la transmission des savoirs. Il s’agissait, pour les créateur.ices, de créer des « ponts entre l’œil et le cœur » en faisant échos aux traditions, iconographies et pratiques ancestrales des communautés des Premières Nations.
« L’exposition interroge, à travers leurs voix, ce que les nations originelles de l’Île de la Grande Tortue offrent à l’humanité en termes de savoir-être et de principes philosophiques. Ce mélange unique de littérature et d’arts visuel est une occasion pour le public de découvrir le futurisme autochtone, un genre encore peu exploré qui permet de rêver l’avenir par le biais d’un retour sur le passé immémorial. »
(Le legs, Description de l’exposition et du vernissage, 2022.)
Le legs explore ainsi le passé immémorial de façon à mieux penser le présent et rêver le futur. En fait, l’œuvre nous transporte dans un futur post-apocalyptique où un bâton de parole est retrouvé à l’entrée d’une caverne par un jeune orphelin.
Ce bâton de parole, conçu par le sculpteur-installateur wendat Teharihulen Michel Savard, est l’ancre centrale du métarécit de l’exposition : l’objet y est « porteur de la sagesse et de l’expérience de l’humanité » et permet à l’enfant comme aux visiteur.ices de découvrir d’étranges voix, images et objets ayant traversés des siècles pour leur être livrés.
Teharihulen Michel Savard
Huniyont / Le Voyageur, 2020
Photographie : Jean-Louis Régis (Photo 1) et Émilie Duchesne (Photos 2 & 3)
Une exposition physique, puis numérique…
Depuis sa première présentation physique à l’Espace Onikam de Shawinigan à l’été 2021 (dont il est toujours possible de visionner le vernissage sur la page Facebook de l’Espace culturel Onikam), l’exposition a été présentée au Salon du livre des Premières Nations en novembre 2021, au Salon du livre de Sudbury en mai 2022 et au Centre culturel Jacques-Auger de Gatineau en juin 2022.
Plus récemment, l’exposition a aussi été adaptée pour le numérique : dans cette adaptation en ligne, les utilisateur.ices sont invité.es à explorer virtuellement la caverne et à tendre une oreille attentive aux histoires qui leur sont transmises par le bâton de parole, dont l’hologramme se retrouve à l’entrée de la grotte.
Peut-être y trouveront-ils — tout comme l’enfant orphelin — une réponse à leurs appels de sens et d’appartenance ? Et peut-être y trouveront-ils même une forme de sécurité et d’apaisement ?
Captures d’écran de la grotte virtuelle, Le legs, 2022.
Optimisée pour les ordinateurs et pour les fureteurs Firefox et Chrome, l’exposition en ligne offre ainsi une expérience de navigation interactive et non linéaire où il est possible de se déplacer d’une chambre de la caverne à une autre en cliquant sur les flèches présentes au sol. Il est ensuite possible d’utiliser les flèches directionnelles du clavier (←→↑↓) ou les touches A, D, W et S afin d’inspecter les nombreuses cavités souterraines.
Alors que les utilisateur.ices avancent laborieusement dans l’obscure grotte et découvrent pas à pas des fragments du passé, une ambiance sonore inquiétante, quoique flottante et mystérieuse, les accompagne.
Tout au long du parcours apparaissent alors des œuvres visuelles sous forme d’hologrammes. En cliquant sur celles-ci, les utilisateur.ices accèdent aux différents récits auxquels elles sont jumelées. À chaque visite d’une nouvelle œuvre accompagnée de son texte, un des cinq carrés situés dans le coin supérieur de l’écran se remplit. Une fois que tous les carrés seront remplis, une dernière œuvre apparaîtra quelque part dans la caverne… À vous de trouver !
Captures d’écran de l’exposition littéraire en ligne, Le legs, 2022.
Pour une conception cyclique du temps : repenser l’idée même de la modernité
Véritable réflexion sur l’héritage et la mémoire, mais aussi sur l’art, le territoire et l’écologie, Le Legs pose ainsi l’importance de transmettre les expériences, les histoires et les savoirs des aîné.es autochtones par delà les temps et les frontières : « Pour que les générations futures sachent. Pour qu’elles se souviennent. Pour qu’elles prennent acte. »
En empruntant tout autant aux procédés de la science-fiction que du mythe et de la légende, les différents textes s’inscrivant dans le métarécit de Louis-Karl Picard-Sioui – notamment ceux de Manon Sioui et de J. D. Kurtness – expriment ainsi une interrelation des temporalités et des lieux. Ils montrent comment l’acte d’imagination ou le geste de création, par la projection d’un monde autre, peut aider à (re)penser l’avenir, mais aussi le présent et le passé. À cet égard, le bâton de parole holographique, lui-même composé de différents matériaux (métal, pierre, plastique, cuir, plumes, crin, textiles et végétaux), montre comment le passé, le présent et le futur s’interpénètrent.
Dans cette optique, Le legs s’écarte de la vision linéaire du temps qui prédomine dans les sociétés occidentales dites « modernes », où l’horizon temporel des acteur.ices est tourné vers l’avenir et où est reconduite une vision positiviste de l’histoire. Le Legs propose au contraire une conception plus cyclique du temps où les valeurs et les cultures ancestrales des Premières Nations seraient toujours pertinentes aujourd’hui et le seraient encore dans le futur. Par-là, l’œuvre questionne notre idée même de la « continuité », du « progrès » et de la « modernité » : toutes les cultures ne sont-elles pas en un sens modernes, contemporaines ?
« La vision laissa l’enfant pensif. Il avait entendu cette conversation si souvent dans les refuges, les camps de fortune où ses parents s’étaient installés pour une saison ou une nuit. Combien de fois de telles assemblées avaient-elles été tenues ? Grande Tortue était-elle condamnée à rejouer éternellement cette litanie ? Puis, le sourire du vieux lui revint en tête et son âme s’apaisa. Peu importe les défis, peu importe la nature cyclique des grands débats et des assauts apocalyptiques, ils avaient survécu. Grande Tortue était résiliente et son peuple l’était tout autant. Il n’avait pas à craindre le futur. Il n’avait pas à craindre la connaissance. »
(Extrait du métarécit de Louis-Karl Picard Sioui, Le legs, 2022.)
Psst… L’exposition physique du Legs a été conçue pour être itinérante : elle est disponible jusqu’en août 2025 ! Les divers événements littéraires et organismes de diffusion culturelle intéressés sont invités à communiquer avec l’organisme Kwahiatonhk! par courriel à kwahiatonhk@gmail.com pour avoir davantage d’informations sur les disponibilités de l’exposition et les coûts associés à sa présentation. L’exposition virtuelle, quant à elle, reste accessible partout et en tout temps.
Titre : Le legs
Créateur (idée originale et métatexte) : Louis-Karl Picard-Sioui
Auteur.ices : Marie-Andrée Gill, Michel Jean, J. D. Kurtness, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Isabelle Picard, Louis-Karl Picard-Sioui et Christine Sioui Wawanoloath
Artistes visuel.les : Eruoma Awashish, Sarah Cleary, Martin Akwiranoron Loft, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Teharihulen Michel Savard, Manon Sioui et Christine Sioui Wawanoloath
Musique originale : Marc Vallée
Direction éditoriale : Marie-Andrée Gill
Commissariat visuel : Louis-Karl Picard-Sioui
Révision linguistique : Cassandre Sioui et Catherine Lemay
Développement web : Ariane Guay, John Boyle-Singfield (Laboratoire NT2)
Coordination des équipes et consultation : Benoit Bordeleau (Littérature québécoise mobile) et Gina Cortopassi (Laboratoire NT2)
Réalisation : Kwahiatonhk! et Littérature québécoise mobile, avec l’appui financier du Conseil des arts du Canada et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
Date de parution : 2021
Lien vers l’oeuvre : https://lelegs.kwahiatonhk.com/
Type d’oeuvre : exposition numérique et interactive à visée littéraire
Support(s) numérique(s) utilisé(s) : fureteurs (Firefox et Chrome sont à privilégier)