Comment le projet Pavillons a-t-il vu le jour ?
Lorsque nous avons lancé le projet, ça faisait déjà une dizaine d’années que nous étions dans le milieu de l’édition plus « traditionnel ». J’ai lu un article sur un modèle américain qui est loin d’être parfait, mais c’est quand même ce modèle-là qui m’a allumée : Substack. Ce qui m’intéressait avec cette plateforme, c’est la façon dont les artistes pouvaient aller chercher des revenus directement pour leur travail de création. Je trouvais intéressant de développer un projet parallèle [à l’édition traditionnelle] avec lequel les artistes pourraient être rémunéré·es au moment de la création. À partir de cette idée, j’ai réalisé qu’il y avait d’autres avantages [au projet], comme l’aspect « œuvres en chantier », l’exploration de nouvelles formes par le biais d’une plateforme en ligne et que ça pouvait devenir un beau terrain de jeu. Rapidement, je me suis tournée vers Annabelle Moreau et Myriam Comtois, qui travaillaient dans le milieu éditorial et nous nous sommes lancées.

Votre objectif est-il de répondre à un besoin ? Comment Pavillons se distingue-t-elle d’autres plateformes numériques comme Substack ?
La grande différence avec Substack est le choix et l’accompagnement éditorial. Substack est une plateforme libre sur laquelle tout le monde peut lancer un projet. Cette plateforme numérique est davantage un outil de diffusion, l’écran qui permet de se publier. Pavillons est beaucoup plus proche d’une revue littéraire ou d’une maison d’édition parce qu’on offre un accompagnement à toutes les étapes, de l’écriture à la promotion.

La plateforme est un lieu où la relève peut être publiée, relève qui se retrouvera éventuellement dans l’écosystème du livre. Pavillons est également un jeu sur la forme, on arrive à offrir quelque chose de différent qui s’inscrit au sein de courants dans le milieu littéraire actuel.

Marie Lamarre

Le feuilleton est un genre littéraire qu’on associe beaucoup aux journaux du dix-neuvième siècle, pourquoi se tourner vers cette forme littéraire pour votre plateforme ? Quelle est selon vous la force de cette formule ?
La forme du feuilleton n’est pas toujours parfaitement respectée sur Pavillons. Le côté sériel est celui qui est davantage retenu : on travaille sur des formes courtes, qui sont en progression, en écriture. Les œuvres ne sont pas écrites dans leur entièreté [au moment de publier la première entrée]. En ce sens, le projet répond à la notion plus historique du feuilleton. La série télé connaît une grande popularité, il y a une demande pour du contenu qui est engageant du point de vue narratif. Ça m’inspire beaucoup et je pense que c’est aussi inspirant pour les auteur·ices. Les publications espacées/sérielles permettent aussi d’aller jouer sur un certain suspense et de tenir le lectorat en haleine. La forme du feuilleton permet aussi d’explorer la forme essayistique sur le long terme, de faire des collectifs.

Selon votre expérience, comment se différencie le travail éditorial dans le milieu du livre de celui que vous effectuez chez Pavillons ?
J’ai découvert plusieurs nuances en lançant Pavillons. D’abord, on accepte un projet sur la base de l’idée et de quelques premiers textes. On vérifie le sujet, les thèmes, la qualité de l’écriture et les façons dont le projet peut se déployer dans le temps. Dans le cas de l’édition classique, on se retrouve devant un manuscrit déjà écrit dans son entièreté. Il y a des tours d’écriture, aussi : on repasse plusieurs fois sur le même manuscrit. Dans le cas de Pavillons, j’avance un texte à la fois. Il y a beaucoup de « laisser-aller » dans le travail d’édition chez Pavillons, le même laisser-aller dont font preuve les artistes quand ils écrivent. Une vraie nouvelle pratique [éditoriale] s’est installée avec Pavillons, qui s’apparente au rythme rapide de celle des éditeur·ices dans les journaux.

MM : Il y a quelque chose qui relève du risque dans la relation même entre auteur·ice et éditeur·ice, un risque lié à la confiance qu’ils et elles doivent se porter.

ML : Tout à fait, c’est intéressant la notion de risque. Il est là aussi pour les lecteur·ices qui choisissent de s’abonner à un feuilleton et de renouveler cet engagement. Souvent, puisque les projets sont encore en chantier, ils n’ont pas bénéficié de critique.

Comment trouvez-vous que Pavillons s’inscrit dans le milieu éditorial au Québec aujourd’hui ?
Dès le début, Pavillons est arrivé comme un vent de fraîcheur. Le milieu littéraire est très ouvert à ce genre d’initiative. La plateforme est un lieu où la relève peut être publiée, relève qui se retrouvera éventuellement dans l’écosystème du livre. Pavillons est également un jeu sur la forme, on arrive à offrir quelque chose de différent qui s’inscrit au sein de courants dans le milieu littéraire actuel. On ne le voit pas encore, mais il est possible d’inclure du son et de la vidéo sur la plateforme. Le modèle permet des projets audacieux et expérimentaux. On essaie toujours de se dire « comment pouvons-nous faire les choses différemment ? » et ça nous motive.

Image du projet Lecteur.ice en résidence, tirée du site web de la plateforme.
Lecteur.rice en résidence est un projet lancé sur la plateforme Pavillons qui a pour but de créer « un espace de dialogue avec les textes de la plateforme Pavillons, afin d’explorer le processus créatif en lien avec la lecture et ce qui en résulte. »

Avez-vous des parutions préférées sur la plateforme ? Quelles parutions vous semblent les plus novatrices ?
Ce sont des choix éditoriaux, donc il y a toujours un lien très fort. J’étais contente lorsqu’on a commencé à faire des publications qui incluaient de l’image. Benoît Erwann vient de terminer un projet sur Pavillons. Photographe de métier, il a inclus beaucoup d’images au sein de son œuvre. Quand on connaît le modèle économique des livres illustrés, on sait que l’impression d’un tel projet serait très coûteuse. Aussi, il y a beaucoup de plaisir lorsqu’on commence à travailler avec quelqu’un dont on ne connaissait pas le travail.

Comment fonctionne votre modèle économique ? Est-ce qu’une plateforme comme Pavillons est une entreprise lucrative ?
Les lecteur·ices s’abonnent à un projet – et non à toute la plateforme – et soutiennent un·e artiste. Les projets sont en vente entre 2 $ et 5 $ par mois ; comme dans le milieu du livre, les artistes touchent un pourcentage des ventes, qui se situe entre 15 % et 60 %. L’absence de l’impression et des intermédiaires [comme les diffuseurs] est ce qui permet ce fonctionnement. […] La conception de la plateforme a été un investissement important, mais les frais de fonctionnement sont assez peu élevés. La seule donnée changeante est le lectorat. Pour l’instant, il y a un public qui est attaché à ce modèle. La croissance de la plateforme est un défi de tous les jours. Je comprends la réticence des journalistes à critiquer une œuvre inachevée, mais la littérature ne se passe pas juste dans les livres. Sur Pavillons, il y a trois modèles de fonctionnement pour la lecture des projets : l’abonnement, l’achat à la pièce ou encore l’achat du projet fini. Notre objectif n’est pas de changer les habitudes de lecture des gens, mais bien d’insérer de la littérature un peu partout.

Après plus de deux ans, comment envisagez-vous la suite de Pavillons ?
J’en suis à un stade où j’ai envie de continuer à explorer et développer des projets, de tirer avantage des possibilités que nous offre la plateforme. Développer des façons d’atteindre les publics différemment. Pour la suite, nous aimerions trouver de nouveaux publics, pour accepter davantage de projets. On a un bel objet entre les mains, reste à l’envoyer aussi loin que possible.

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