Transistor Média produit et diffuse des balados qui mènent leur auditoire ailleurs, misant sur l’étonnement et un grand soin dans la qualité des expériences sonores qu’il propose. L’organisme, aussi à l’origine du Festival Transistor, explore les possibilités artistiques de ses projets, qui s’étendent parfois au-delà de leur format d’origine. Nous avons échangé avec Clara Lagacé, directrice générale.

Quel rôle occupes-tu chez Transistor et quel parcours t’a mené à rejoindre l’organisme?

Tout d’abord, Transistor a été fondé en 2017, autour du festival de la radio numérique, le Festival Transistor. Donc ça fait environ huit ans qu’on existe à Gatineau. Moi, ça fait deux ans que je travaille au sein de l’équipe à titre de directrice générale. Directrice générale d’un organisme culturel, c’est gérer l’ensemble des activités, les budgets, les demandes de subs, tout ce qui se rapporte à l’univers de faire avancer les projets, la stratégie et la survie de l’organisme. On est une équipe de cinq personnes et on travaille avec une douzaine de collaborateurs réguliers.

Photo de Clara Lagacé, elle se tient devant un mur de briques, les mains dans les poches.
Clara Lagacé
Crédit photo : Quest

J’étais déjà un peu impliquée avec Transistor avant, j’avais siégé sur leur conseil d’administration, et puis fais quelques projets. […] Transistor a été cofondé par Julien Morissette et Steven Boivin. Ils sont encore actifs à différents niveaux. Julien assume la direction artistique et la direction de la plupart, mais pas de tous les projets. Steven Boivin s’est lancé en politique municipale, donc il est moins impliqué, mais il aide encore beaucoup.

Comment est-ce que tu décrirais la direction artistique de Transistor? 

On essaie toujours de travailler sur des projets qui sont surprenants. [Des projets] qui ont une facture sonore très soignée, aussi, ça fait partie de la direction artistique, avec le médium avec lequel on travaille. Une grande attention est portée au son, on travaille presque exclusivement avec de la musique originale […]. À Transistor, on est toujours en train de se poser des questions sur la mise en récit. Ça revient peut-être un peu à l’élément de surprise. Comment raconter au mieux, grâce à l’audio, des histoires qui sont engageantes et surprenantes?

Tu mentionnes la musique originale, la facture sonore soignée, la réflexion sur le récit. Est-ce que c’est comme ça que Transistor se démarque dans le paysage de la baladodiffusion au Québec?

Oui! C’est le pari qu’on fait. On souhaite une démarcation. Veut, veut pas, on a fait plusieurs explorations à travers les années. On arrive de plus en plus à pouvoir assumer cette direction-là : faire peut-être moins de projets qu’à nos débuts, mais faire des projets plus ambitieux. 

Comment est-ce que tu décrirais un projet plus ambitieux?

Un de nos projets qui travaille le plus sur la direction artistique, ce serait le balado de fictions paranormales Hantées

C’est un balado qui se passe en Outaouais, un « documenteur », qui joue beaucoup avec les codes du documentaire, du true crime, qui sont des styles très appréciés en audio. Mais c’est entièrement de la fiction. C’est devenu un projet assez ambitieux, parce qu’on est rendu à notre troisième saison, et il y a d’autres déclinaisons du projet qui s’en viennent. On a déjà fait une petite présentation sur scène, et une formule scénique plus large se dessine pour la fin avril.

Dans ces épisodes-là, on met vraiment beaucoup de temps, d’amour, un casting est fait pour trouver les interprètes qui vont jouer au mieux les gens réels qui livrent leurs témoignages. Dans le projet de base, il y a beaucoup de soins donnés, mais après, on voit comment nos projets peuvent avoir différentes vies, sous différentes formes. Si on va sur scène, il y a des nouveaux codes à apprendre, des nouveaux codes à intégrer. 

À l’inverse de la démarcation dans le paysage de la baladodiffusion, comment est-ce que Transistor s’inscrit dans le milieu?

Transistor a été fondé autour du festival, à la base. Le festival, c’est vraiment rassembleur pour la communauté francophone d’audio et de balado indépendant. On s’inscrit dans le paysage très concrètement en tenant le festival et en faisant venir les gens à Gatineau. Ça fait un peu partie de notre identité, disons. De faire le choix de rester en Outaouais, ça reste important à l’ADN de Transistor. […] Année après année, ça crée des liens à différentes échelles. Entre les créateurs, mais ça fait découvrir au public aussi le balado qui sort des studios, qui vient sur scène, il y a des installations d’écoute, il est mis à la rencontre de ses publics de manière moins immatérielle. 

Comment se passe la rencontre avec le public? 

Le balado, c’est un médium d’intimité. On le sait qu’en créant un projet, la plupart du temps, il est consommé dans l’intimité de quelqu’un qui plie son linge, qui fait sa vaisselle ou qui est en déplacement à quelque part. La plupart du temps, c’est assez solo comme expérience. Ça se rapporte quand même à la lecture à ce niveau-là. […] Comparé à la lecture, tu peux faire des tâches ménagères en même temps!

Tout ça pour dire qu’on sait que c’est comme ça que le public nous reçoit, et ça teinte comment ils nous écrivent ou ils nous répondent pour parler de leur rapport parfois très très fort à certaines œuvres. Je reviens à l’exemple de Hantées, étant donné que c’est un documenteur, en plus, c’est peut-être le projet pour lequel on reçoit le plus de retours directs par courriel [et par] messagerie de réseaux sociaux. C’est assez hallucinant le nombre de personnes qui nous écrivent pour nous parler de leur expérience d’écoute.

Leur expérience… paranormale?

Trois personnes assises dans une pièce avec de l'équipement d'enregistrement.
Photo de production de Hantées
Crédit photo : Transistor Média

Je te mentirai pas, il y a quand même des gens qui sont floués!

Et des gens qui sont allés voir les lieux, et ça, ça fait tellement plaisir! [Des gens] qui font le détour, qui sont de la région ou pas, et qui profitent de leur déplacement pour faire la rue principale, qui est toute la première saison de Hantées. Puis, ils nous écrivent pour nous dire : « Hey, je suis allé voir les maisons »!

Ça, c’est fun parce que c’est un rapport très concret à une œuvre qui a été consommée, sur laquelle on n’a plus beaucoup de contrôle une fois qu’elle existe en ligne. 

Et comment se déroule la production d’une de vos séries? 

Ça dépend. Le plus possible, le projet est arrivé à l’interne. On veut produire, on est une compagnie de créateurs, de créatrices, on veut produire les projets qui émanent d’ici, de la constellation large de Transistor. 

Le projet existe, il est pitché juste à l’interne, on le challenge un peu. On essaie de voir : est-ce que ça vaut la peine d’investir un peu de temps et de mettre de l’énergie là-dedans? C’est sûr que d’emblée, on essaie de voir aussi comment est-ce qu’on peut le faire arriver. Parce que c’est beau l’écrire (déjà, idéalement, c’est payé), après, il y a des coûts externes réels si on le produit. Donc, dépendamment du projet, on va essayer de le faire cadrer avec un conseil des arts, si on peut, parce qu’on est un OBNL.

Il y a pas de financement direct pour le balado. C’est pas comme une discipline directement reconnue par le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des arts du Canada ou la SODEC. Ça, c’est le gros de mon travail, c’est toujours un peu une gymnastique de voir où est-ce qu’il peut cadrer. Comment est-ce qu’on peut le faire porter pour que ça devienne réalisable? 

L’autre étape possible, c’est de le présenter aux diffuseurs. Il y en avait trois jusqu’à récemment; QUB radio ne fait plus de balados, on a Radio-Canada OHdio et Télé-Québec (La Fabrique culturelle) qui produisent des séries, et nous on a la chance d’avoir travaillé avec les trois diffuseurs (maintenant les deux). Donc on a des belles relations avec les diffuseurs pour présenter des projets. Ça, c’est les premières étapes. Après, une chaîne de production plus classique d’un balado, pour nous c’est toujours la scénarisation d’abord, et si c’est un documentaire, ça se fait en parallèle avec la cueillette d’information. On a une grosse étape de script-édition aussi, donc plusieurs personnes se mettent les mains dans les scénarios.

Est-ce que ça arrive que des auteur.rices approchent Transistor avec des projets?

On est avant tout un studio de production, par et pour les artistes ici. On n’a pas la structure, et le financement n’existe pas à l’heure actuelle pour qu’on accueille et qu’on porte un projet comme si on était un diffuseur. Ça reste le nœud de l’enjeu (il y a aussi le fait qu’on est cinq personnes!). Tant qu’il n’y aura pas de financement concret, clair pour le balado comme médium d’expression artistique à part entière, comme on milite pour qu’il y en ait, il n’y a pas vraiment de studios indépendants qui portent les projets d’autres de manière formelle. Tu peux pitcher et ton projet va être pris ou pas. Il n’y en a pas plus à Montréal, ou ailleurs, pour le moment.

Comment fonctionne votre modèle économique en tant qu’OBNL?

On est à 60 % financé par des subventions, à 30 % par des apports de production (quand on travaille avec des diffuseurs et des clients privés), à 10 % par des revenus autonomes (la billetterie du festival, des choses comme ça).

On a un petit soutien à la mission de la part de la Ville de Gatineau, mais ça reste petit pour ce que ça représente pour l’ensemble de notre chiffre d’affaires. À part le soutien à la mission, notre modèle économique est entièrement basé sur du soutien par projet, comme plusieurs organismes culturels. Donc on est à la remorque de multiplier les projets, mais de pas trop les multiplier (l’énergie n’est pas infinie). De mieux financer moins de projets, ça reste l’objectif du modèle.

Un autre objectif, ça reste de bâtir une chaîne de valeur autour du balado. Dans le monde du livre, il existe une chaîne de valeur très claire (qui ne sert pas toujours l’auteur.rice!), qui établit un modèle économique clair et pérenne. C’est pas du tout le cas dans le monde du balado, c’est beaucoup plus le far west. Combien on se fait payer par projet, qui devrait recevoir quoi, il n’y a pas d’entente collective, il n’y a pas de regroupement. Tout ça est encore au stade embryonnaire, et on essaie de participer aux discussions où on le peut, mais pour l’instant personne ne porte le dossier de cadrer le balado et il faut continuer la représentation politique pour que ça devienne un jour une réalité. 

Donc, le balado, c’est pas un domaine où on cherche à faire un profit? 

Personne n’a encore craqué le code de faire fructifier le balado dans le monde. Il y a des gens qui font beaucoup d’argent avec le balado, des individus, mais un modèle économique viable? Non. 

À Transistor, ce vers quoi on veut se tourner le plus, c’est l’idée de bâtir une chaîne de valeur sur des projets. Le balado, le son, le soin apporté, tout ça reste au centre. Mais avec un balado, si après on peut faire un projet sur scène, un livre, une série télé, […] ça devient super intéressant. Les énergies sont mises à développer créativement un univers, avec des débouchés vers des médiums qui ont quand même des retombées. Ça reste que le balado comme tel se consomme gratuitement. Une fois qu’il est créé, il n’y a aucune manière de le monétiser et la culture en français en Amérique du Nord, c’est un bassin trop petit pour que la pub vaille la peine.

Qu’est-ce que vous imaginez pour le futur de Transistor?

Plus de balados? C’est sûr qu’on espère une pérennité dans le financement, pour allouer moins d’énergie à la gymnastique de survie et tourner notre énergie vers la création et l’expérimentation, se donner le droit de faire des choses qui sortent un peu plus des sentiers battus. Parce que quand t’as plus de temps, ça libère ça!

Et encore d’être à Gatineau!

Nom : Transistor Média
Statut : Organisme à but non lucratif
Énoncé de la mission :
« Transistor Média est un organisme gatinois voué au développement de balados à l’échelle nationale et internationale, en documentaire comme en fiction. Notre mission est de créer, produire et diffuser des oeuvres audionumériques, en privilégiant la création sonore et la baladodiffusion comme moyens d’expression afin de promouvoir cette discipline et contribuer à l’appréciation des arts par le public. »

Année de fondation : 2017
Lieu : Gatineau, Québec
Site Web : https://transistor.media/

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