Cette chasse, considérée comme illégale par le gouvernement du Québec depuis 2001 [1], consiste, pour les Innu·es, en une tradition millénaire menacée par les changements climatiques et le déclin de l’espèce. La proposition prend en partie appui sur les codes du cinéma documentaire tout en exploitant des modalités médiatiques autres ; le travail du son permet par exemple de travailler à la fois une certaine immersion et une proximité avec les personnes mises de l’avant, qui ont pu se confier à Lachapelle sans être entourés d’une équipe de tournage cinématographique complète, comme le confie l’auteur au Devoir [2].

Le projet prend plusieurs formes et s’incarne sur plusieurs supports ; en effet, Lachapelle archive son expédition sous la forme d’un livre et d’un documentaire sonore à la fois disponible en ligne et en vinyle. Il n’en est d’ailleurs pas à son premier projet sonore, puisqu’il a déjà créé Retour à Normétal et collaboré, notamment, à Par-delà la 138 (coréalisé avec Éloïse Demers-Pinard).

« Se faire inviter là-bas, c’est quelque chose de gros. C’est une des régions les plus inaccessibles du pays parce qu’elle se trouve au cœur d’un conflit géopolitique complexe, qu’il n’y a pas moyen de se rendre là par ses propres moyens, pis parce que les chasseurs sont généralement méfiants vis-à-vis des intrus. À cause de ça, ça fait au moins 50 ans qu’un Blanc n’est pas allé documenter la chasse au caribou avec les Innus de la Basse-Côte-Nord. »

(extrait du documentaire, 4 :00-4 :24)

Entre le livre d’art et la photographie documentaire

Le livre a été publié aux Éditions du Noroît et est paru en 2024. Du travail éditorial effectué par les éditions du Noroît et Criterium, studio de design graphique, résulte une mise en page épurée. Le dispositif livresque ici exploité est digne de mention : il est possible de déplier l’objet pour aborder à la fois la portion plus poétique de l’ouvrage (en première partie), et celle qui se présente sous la forme d’un photoreportage (en seconde partie), plus abstraite. Puisque les deux parties contiennent le même volume de pages, les lecteur·ices peuvent consulter les deux sections simultanément, comme si deux livres distincts, rassemblés sous une même reliure, pouvaient se déployer côte à côte. À noter qu’il est tout de même possible de consulter l’œuvre sans la déplier, la partie textuelle se présentant dès lors avant la partie photographique. Le photoreportage est somme toute plus figuratif que la première partie, où il est question du récit de la chasse.

Puisque les deux parties contiennent le même volume de pages, les lecteur·ices peuvent consulter les deux sections simultanément, comme si deux livres distincts, rassemblés sous une même reliure, pouvaient se déployer côte à côte.
Puisque les deux parties contiennent le même volume de pages, les lecteur·rices peuvent consulter les deux sections simultanément, comme si deux livres distincts, rassemblés sous une même reliure, pouvaient se déployer côte à côte. | Photo: Criterium
Le photoreportage
Photo: Criterium

Les codes du cinéma documentaire appliqués au format livresque

La proposition, dans ses différentes incarnations, emprunte aux codes du cinéma documentaire. Certains passages de la première partie sont présentés sous la forme de dialogues, en italique. Au début de ces passages, au bas de la page, sont inscrits les noms des personnes citées, à l’image de ce qu’on retrouve dans les documentaires, avec ces segments où les participant·es sont invité·es à témoigner devant la caméra. Ce procédé a pour effet d’accentuer le réalisme du récit, où les témoignages sont constamment priorisés au détriment de l’interprétation. De plus, plusieurs pages sont réservées à la présentation de termes innus avec leur traduction française, comme dans une édition miroir conventionnelle. La portion textuelle du projet reprend d’ailleurs en partie le contenu du documentaire sonore, accessible via un code QR disponible à l’intérieur du livre ou encore sur la plateforme de Transistor Média.

Toutefois, les deux propositions restent complémentaires, puisque le livre ne consiste pas en un verbatim du documentaire et que ce dernier, en plus du travail sonore et de la musique, contient des passages exclusifs. En ce sens, Daniel Capeille et Jean-Sébastien Côté proposent une ambiance sonore immersive.

En somme, si le livre et le documentaire sonore peuvent être consultés séparément, il n’en demeure pas moins la proposition se décline en plusieurs incarnations complémentaires, avec un objet livresque non conventionnel qui se laisse consulter plutôt facilement pendant l’écoute du projet audio, comme pour laisser le public recomposer son propre film.

Titre : La chasse interdite
Créateur : Nicolas Lachapelle, en collaboration avec Jean-Luc Kanapé, Guy Bellefleur, Edouard Kaltush, Mathias Mark, Rayan Mesténapéo et les chasseurs innus de Pakua Shipi, Unamen Shipu et Nutashkuan, Éloïse Demer Pinard (co-scénarisation et montage), Erika Soucy et Naomi Fontaine (conseillères à la scénarisation), Marc-Antoine Marceau (conseiller à l’interprétation), Agnès Poker, Nina Malleck-Rich et Jérôme Mestenapeo (chansons traditionnelles), Mathieu Bérubé (musique originale) et Jérôme Dupuis-Cloutier (trompette), Daniel Capeille et Jean-Sébastien Côté (mix et conception sonore), Jean-Philippe Côté (enregistrement des narrations), Maxime Rheault et Criterium design (design graphique).
Maison d’édition : Les Éditions du Noroît (livre) / Transistor Média (documentaire sonore)
Date de parution : 2024
Liens vers l’œuvre : https://transistor.media/balado/la-chasse-interdite/ et https://lenoroit.com/produit/la-chasse-interdite/
Type d’œuvre : livre papier/documentaire sonore


[1] Gouvernement du Québec. 2024. « La situation du caribou au Québec ». Gouvernement du Québec. https://www.quebec.ca/agriculture-environnement-et-ressources-naturelles/faune/gestion-faune-habitats-fauniques/situation-caribou

[2] Hébert-Dolbec, A.-F. 2024. « La chasse interdite : un allochtone invité à la chasse ». Le Devoir. https://www.ledevoir.com/lire/825333/chasse-interdite-allochtone-invite-chasse

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