*L’image en bannière est tirée du 11e chapitre des Écritures confinées, dans lequel Ève Vayssière analyse l’affichage dans l’espace public en temps de confinement.

Publié chez Hermann en juin 2022, Les écritures confinées est un ouvrage rassemblant 15 textes qui témoignent des évolutions qu’ont connues les pratiques littéraires et le milieu de l’édition durant la pandémie. Regard rétrospectif donc sur les instants d’incertitude généralisée et les confinements répétés qui ont impacté toutes les sphères de la société. 

Page couverture du livre « Les écritures confinées ». On y distingue un visage entouré de cercles concentriques bleus et rouges .
Page couverture de Les Écritures confinées

À ce titre, le livre aborde les écritures du confinement dans toute leur pluralité. On y découvre les écritures dans la publication en quotidiens, par l’entremise de journaux audios, dans l’autopublication sur des sites web d’écrivain.es et de bédéistes, dans les ateliers d’écriture créative, et bien sûr dans la production livresque. Ce billet se veut un survol des textes qui montrent l’évolution dans les pratiques éditoriales. Les segments de l’ouvrage qui traitent de l’évolution dans la poétique des textes publiés en temps de confinement ne seront donc pas abordés, car ils correspondent moins directement à la ligne éditoriale du Carnet de la Fabrique du numérique.

Écrire, créer, penser

Le recueil est divisé en trois parties. La première, « Écrire, créer, penser en confinement », interroge les pratiques d’écriture de différentes natures (journal, BD, philosophie, arts littéraires) qui ont permis de réfléchir au phénomène du confinement depuis l’intérieur. Dans cette section, les analyses « Babel des littératures confinées : “la parole en archipel” des écrivains confinés » de Sylvie Ducas et « La BD confinée pour s’évader » de Jean-Christophe Boudet et Corentin Boutoux mettent en jeu la figure de l’auteur.rice et sa manière de rejoindre un lectorat. Ducas examine le cas des journaux sonores d’écrivain.es, une forme située sur des plateformes permettant les échanges entre auteur.rices et lecteur.rices et témoignant d’une transformation dans la figure de l’auteur.rice. En effet, plutôt qu’un.e écrivain.e reclu.e du monde et explorant des soucis intimistes, les pratiquants du journal sonore tendent à remettre en jeu la tension entre la littérature intime et la littérature tournée vers l’autre. Ducas voit dans ces pratiques une forme d’enquête : l’écrivain.e questionne et échange avec son monde pour mieux le comprendre et l’écrire. 

Le monde de la BD (et ses bédéistes) a lui aussi connu nombre de permutations. On voit notamment la mise en ligne d’œuvres inédites, ou l’apparition de blogues de professionnels de la BD qui en font une vitrine de leurs travaux en cours ou des journaux de pandémie. La BD a aussi été investie par des professionnels de la santé pour raconter leur perspective unique de la pandémie. Ce phénomène rappelle aussi la figure d’un.e écrivain.e enquêteur.rice du réel et ancré dans sa société plutôt que l’auteur.rice marginal.e qui en est davantage observateur.rice. 

Page couverture de la bande dessinée « La médecin », on y distingue une femme dans un hôpital portant un masque.
Page couverture de la bande dessinée La Médecin telle qu’elle apparaît dans Les écritures confinées.

Le dernier texte de cette partie, « Les arts littéraires poussés vers le numérique, une posture énonciative du support » par René Audet analyse la situation des arts littéraires au Québec durant la pandémie. Les confinements successifs ont poussé les manifestations performatives et éphémères de la littérature à migrer vers des plateformes numériques. Ce mouvement a transformé conjointement la forme des textes et leurs manières de rejoindre leurs publics. Audet appelle ainsi à considérer les modalités de circulation des textes (dans leurs variations scéniques, numériques et livresques) comme une composante intégrale de leur énonciation éditoriale*. 


*« On appelle « énonciation éditoriale » l’ensemble des actions d’établissement, de transformation et de transmission des textes […] afin d’en déterminer (à l’avance) les conditions et les modalités de réception. » Pascal Genêt, «Énonciation éditoriale », dans Lexique, Socius : ressources sur le littéraire et le social.

Écrire, communiquer, partager

La deuxième section, « Écrire, communiquer, partager son confinement », explore davantage la poétique des écritures confinées et la valeur thérapeutique de l’écrit. Oriane Deseilligny étudie un échange épistolaire qui s’est déroulé sur Instagram entre les autrices Tatiana de Rosnay et Frédérique Deghelt d’avril à juillet 2020. Cet échange a permis d’expérimenter avec le potentiel médiatique d’Instagram : une formule d’écriture en feuilleton s’accorde naturellement avec une plateforme conçue pour des publications régulières, la fonction de géolocalisation a pu être manipulée pour indiquer des lieux éloignés des emplacements réels des autrices, et la possibilité de commenter permet un échange avec son lectorat à même la publication du récit épistolaire. Au fil de leurs allers-retours, les autrices ont su explorer une poétique de l’ailleurs, une fuite en temps de confinement.

Écrire, afficher, diffuser

La troisième partie , « Écrire, afficher, diffuser en confinement », convoque des analyses du langage tel qu’il s’est décliné dans l’espace public au temps de la pandémie, et des entretiens sur les permutations qu’a connu le milieu du livre en France. Les trois textes finaux des Écritures confinées rendent compte des difficultés du milieu du livre durant la pandémie, mais aussi des gestes de solidarité qui s’y sont multipliés. 

Trois photographie de messages affichés dans des espaces publics durant la pandémie de la Covid-19.
Trois cas de figure d’inscriptions humoristiques abordant la pandémie et présentes dans l’espace public, analysées par Ève Vayssière dansle 11e chapitre de Les Écritures confinées.

Tanguy Habrand propose une rétrospective des changements dans les discours et les perspectives au sein des acteur.rices du monde du livre. Il relate notamment les perspectives communes aux plus de 600 éditeur.rices qui ont cosigné une tribune critiquant l’absence de plan de relance économique du milieu du livre provenant du gouvernement français. En parallèle de prises de paroles publiques, la situation de confinement a été marquée par l’entraide à plusieurs niveaux de la chaîne du livre, tel qu’en témoignent les écrivains.es Sophie Carquain et Jean-Pierre Marongiu, l’éditeur Pierre Banos, le libraire Corentin Boutoux, et le conservateur en bibliothèques William Jouve lors d’une table ronde. Ielles relatent autant leurs frustrations en lien avec la place de la culture, d’abord écartée des services essentiels par le gouvernement français, que les manières qu’ielles ont trouvé pour garder contact avec leurs publics et leurs collaborateurs. Malgré un ralentissement momentané, il en demeure qu’au crépuscule de la pandémie, le milieu du livre en France ne semble pas avoir connu de transformation majeure dans son fonctionnement.

Titre : Les Écritures confinées

Directeur.ice.s : Sylvie Ducas, Rossana de Angelis, Agathe Cormier

Auteur.rices et intervenant.es : Frédéric Aribit, René Audet, Pierre Banos, Jean-Christophe Boudet, Corentin Boutoux, Sophie Carquain, Alessandro Cocorullo, Agathe Cormier, Valentine Cuny-Le Callet, Rossana de Angelis, Ciro De Vincenzo, Oriane Deseilligny, Sylvie Ducas, Anita Franceschi, Marie-Rose Guarniéri, Sarah Gensburger, Tanguy Habrand, William Jouve, Jean-Pierre, Marongiu, Nisrine Ojeil, Vincent Ruiz, Flavia Serio, Marta Severo, Ève Vayssière

Date de publication : juin 2022

Éditeur : Hermann

Nombre de pages : 382

Format : papier

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