Titre : Une pièce pour Louis-Olivier
Réalisation : Louis-Olivier Brassard, dans le cadre du cours La représentation théâtrale donné par Jean-Marc Larrue (Université de Montréal) 
Date de parution : Automne 2019
Type d’œuvre : Application web
Liens vers l’œuvre : https://scolaire.loupbrun.ca/piece01/
Temps de lecture : 1h environ
Support numérique utilisé : Page web

L’auteur y questionne l’identité des individus en dépouillant ses personnages de toutes traces d’individualité, leurs interactions se faisant par l’intermédiaire du logiciel de versionnage Git, le tout de manière anonyme et sécurisé. En ce sens, Louis-Olivier Brassard conteste également, non sans inquiétude, la mainmise des corporations et des gouvernements sur les outils de communications numériques, principal vecteur de notre perte de pouvoir collectif dans un monde sous surveillance. La pièce se clôture d’ailleurs sur la rupture de la chaîne cryptographique des dialogues, entraînant une brèche de sécurité majeure. Une fois leur communication compromise, les personnages n’auront d’autres choix que celui de se déconnecter. Le sous-titre de la pièce, Écrire pour une dystopie de demain, rend compte de cette anticipation tout sauf folâtre d’une société en pleine transformation numérique. Il faut noter que le texte dramatique, autrefois décentralisé et consultable sur Git, n’est plus disponible sur cette plateforme. À notre connaissance, la pièce s’inscrit uniquement dans un contexte de recherche-création et n’a pas été jouée.

La pièce se clôture sur la rupture de la chaîne cryptographique des dialogues, entraînant une brèche de sécurité majeure.
La pièce se clôture sur la rupture de la chaîne cryptographique des dialogues, entraînant une brèche de sécurité majeure. © Louis-Olivier Brassard

« Le théâtre, comme genre artistique particulièrement réactif sur les enjeux de son époque, me paraissait fertile — autant au niveau de l’écriture qu’à celui de la représentation — pour proposer des réflexions sur la question on ne peut plus contemporaine de la place de la technologie en société — sans oublier que ce média est lui-même sans cesse confronté à la place que doit occuper la technologie au sein de sa propre pratique. » 

Postface, Louis-Olivier Brassard

Lorsque l’interface contribue au propos

Pour démarrer la lecture, il faut obligatoirement passer par la table des matières composée de six hyperliens. Ces derniers suggèrent un ordre de lecture spécifique, bien que facultatif : les lecteur.rices ont le choix de retourner à l’accueil, de consulter la liste des personnages, de se diriger vers le texte de la pièce ou vers la postface, de consulter les politiques de confidentialité ou encore de visiter la section « À propos » du site. 

Le texte de la pièce dans la section « 01. Le texte : Écrire pour la dystopie de demain – Louis-Olivier Brassard », affiché à gauche de l’écran, partage l’interface avec diverses indications scéniques, photographies, extraits audio atmosphériques et commentaires de Louis-Olivier Brassard, ceux-ci affichés à droite du texte. Cette volonté chez Brassard de documenter sa démarche par des photographies illustre cette importance de la matérialité inextricable de sa dimension textuelle, tout comme cette volonté, plus secondaire, de marier la dimension recherche à celle de la création.

À de nombreuses reprises, les didascalies font mention de la présence d’outils technologiques sur scène, qu’il s’agisse de la présence d’écrans pour afficher les dialogues en temps réel ou encore pour expliquer la manière dont les personnages sont exploités, c’est-à-dire par l’intermédiaire du logiciel Git, logiciel qui garantit des dialogues « cryptographiquement sécurisés ». Ainsi, la présence de la technologie dans Une pièce pour Louis-Olivier n’est pas gratuite : elle sert à développer un propos sur les enjeux de cybersécurité et sur la question de l’identité numérique, dans l’idée de jumeler la forme et le fond, le propos de la pièce et sa matérialité.

Interface du texte de la pièce
Cette volonté chez Brassard de documenter sa démarche par des photographies illustre cette importance de la matérialité inextricable de sa dimension textuelle, tout comme cette volonté, plus secondaire, de marier la dimension recherche à celle de la création. © Louis-Olivier Brassard

« L’intrication entre le fond et la forme du propos me paraissait fort intéressante à exploiter. D’une part, parce qu’une écriture purement “idéelle” (qu’elle soit dramatique ou littéraire), sans tenir compte de sa réalisation ou de son inscription matérielle, me paraît absurde. Peut-on imaginer un être humain sans bouche pour parler, sans mains pour écrire, sans cerveau pour penser ? » 

Postface, Louis-Olivier Brassard

Des personnages authentifiés, mais désidentifiés

Le texte de la pièce est conçu à partir du logiciel de versionnage Git. Une pièce pour Louis-Olivier est donc la somme de plusieurs contributions (commit) soumises par les personnages de la pièce, où les répliques et didascalies sont intégrées à l’interface en tant que contributions. Chaque personnage possède sa propre clé cryptée (GPG), qui certifie l’identité de celui ou celle qui écrit les répliques. Dans le cas d’un monologue, chacune des phrases qui le constitue est considérée comme une contribution (ou entrée), ajoutant à l’aspect télégraphique de la conversation et à la conscience de la matérialité du support sur lequel la conversation se développe, puisqu’un commit sur Git se doit généralement d’être clair et concis. Les didascalies de Louis-Olivier Brassard font toutefois exceptions, pouvant aller jusqu’à une trentaine de lignes pour une seule contribution. Sans prendre en considération les entrées de ce dernier, qui a la charge de « soumettre » les indications scéniques, on peut compter trois personnages, soit Berthold (Brecht), Konstantin (Stanislavski) et François (Delsarte), dont les noms font référence à des théoriciens du théâtre. Ce choix pour les noms vient d’une volonté de désincarner davantage les personnages, démarche en adéquation avec l’idée de questionner ce qui constitue nos identités. L’usage d’un outil décentralisé comme Git représente un exemple similaire, puisque les personnages ne peuvent exister qu’à l’aide d’une instance intermédiaire, dans le retrait et l’anonymat. Toujours dans une volonté d’anonymiser les personnages, ces derniers nomment leurs interlocuteurs seulement en mentionnant la première lettre de leur prénom. 

Chaque personnage possède sa propre clé cryptée
Chaque personnage possède sa propre clé cryptée (GPG), qui certifie l’identité de celui ou celle qui écrit les répliques. © Louis-Olivier Brassard

Enfin, les indications scéniques précisent que les contributions sur Git doivent se faire sur scène en temps réel et doivent être affichées sur des écrans pour que les répliques soient visibles. Selon les didascalies, les personnages sont tout de même présents sur scène, mais leur visage doit être caché de manière à ce que l’on ne puisse pas distinguer un indice physique qui pourrait nous renseigner quant à leur identité respective.

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