L’arrivée des ordinateurs personnels et d’Internet dans les foyers québécois au milieu des années 1990 a ouvert de nouvelles avenues de création et de diffusion pour les écrivain·es de la province. Mais s’il est encore possible de lire des manuscrits de l’Antiquité gravés dans la pierre, l’accès aux œuvres littéraires numériques, lui, est souvent parsemé d’embuches : obsolescence des technologies de programmation, disparition des serveurs ou des sites les hébergeant, destruction par les auteur·ices de leurs traces numériques, faible recension critique, absence de prise en charge par les bibliothèques, etc. Comment alors étudier l’histoire de ces pratiques, si la trace des œuvres s’efface rapidement?
Afin d’éviter la perte de ce patrimoine, l’équipe de René Audet, professeur de littérature à l’Université Laval, a entrepris un travail colossal de repérage, de description et de documentation d’œuvres datant de 1964 à nos jours. L’équipe a recensé au cours des trois dernières années des œuvres littéraires provenant du Québec qui ont été produites et pensées pour les écrans. Le fruit de leur travail vient d’être dévoilé avec le lancement du Catalogue des œuvres littéraires numériques (COLiN).
Répertorier les œuvres pour mieux les étudier
Le Catalogue des œuvres littéraires numériques réunit en une seule base de données près de 400 fiches décrivant des œuvres produites au Québec et conservant quelques images de ces œuvres. Avant d’y être intégrées, les œuvres devaient d’abord être découvertes. Leur repérage a demandé diverses approches.
Différents répertoires existaient déjà, pensons notamment à celui du NT2 ou au Répertoire des écritures numériques. Toutefois, aucun des répertoires consultés n’était exclusivement consacré à la littérature québécoise ou ne couvrait toute la période souhaitée. La création d’un nouveau catalogue s’imposait donc, afin de réunir à un seul endroit le plus d’œuvres possible.
Afin d’obtenir la plus grande représentativité des pratiques, les chercheurs et chercheuses ont fouillé la littérature critique et généraliste sur la littérature numérique, question de repérer certains textes aujourd’hui difficiles d’accès. Ainsi, l’équipe a pu partir en quête de traces d’œuvres aujourd’hui inaccessibles en tout ou en partie comme en découvrir d’autres encore accessibles.
Des consultations auprès d’autres chercheurs et chercheuses, d’archivistes, de bibliothécaires, d’artistes et d’écrivains et écrivaines ont aussi fait ressortir des œuvres plus actuelles. Lorsque possible, les auxiliaires de recherche prenaient des captures d’écran ou des navigations filmées afin de garder des traces de l’expérience de navigation de l’œuvre, au cas où les œuvres disparaîtraient.
Comment utiliser le catalogue?
Les œuvres présentes dans le COLiN peuvent être consultées de différentes façons. D’abord, sur la page d’accueil, les plus récents ajouts apparaissent. Un outil de recherche avancée permet de faire des recherches par auteur.ice, sujet, mot-clé ou encore par date. Quelques filtres prédéfinis offrent des recherches toutes faites : format d’œuvre (ePub, HTML, modélisation 3D par exemple), genre et nature (bande dessinée, conte, documentaire, etc.), technique, support (CD-Rom, liseuse, téléphone intelligent, etc.) ou thème.
Des collections permettent également de regrouper certaines œuvres, notamment celles trouvées dans la revue hypermédiatique bleuOrange. De nouvelles collections devraient être ajoutées au fur et à mesure que la base de données nourrira des recherches.
Finalement, une ligne du temps donne un aperçu de la production année après année. Grâce à ce coup d’œil temporel, on peut commencer à observer l’évolution des pratiques à travers les époques.
Mais qu’est-ce que la littérature numérique?
Pour intégrer le catalogue, l’œuvre doit avoir une forte teneur littéraire. Si cela semble aller de soi, la question «est-ce littéraire» a souvent causé un casse-tête pour l’équipe. « Nous avons choisi d’être très inclusifs dans la définition du fait littéraire pour le catalogue, entre autres parce qu’une des composantes de la littérature numérique provient du fait qu’elle est pratiquée parfois par des amateurs. Nous ne nous étions pas donné comme mandat d’avoir un regard critique sur les œuvres, mais plutôt de les recenser, de voir quelles sont les pratiques et comment elles évoluent à travers le temps », explique René Audet.
Parmi les autres critères de sélection, la composante numérique des œuvres doit être importante, voire dominante. Ainsi, les livres conventionnels ne reprenant que l’imaginaire du web n’ont pas été considérés. L’œuvre est généralement produite d’abord en français, mais des œuvres exclusivement en anglais se trouvent également dans le catalogue. Au moins une personne de l’équipe de création ou d’édition doit provenir du Québec ou l’œuvre doit avoir été produite au Québec.
Le COLiN regroupe donc des œuvres de diverses formes et genres, témoignant d’une créativité foisonnante au Québec.