Chaque année, la publication invite un duo formé d’un·e écrivain·e et d’un·e artiste à imaginer un triptyque mettant en relation le texte avec d’autres médias. Cette exploration, tout en testant les voies créatives ouvertes par de nouvelles plateformes, « diversifi[e] la façon d’interagir avec les mots », explique Pauline Jacquemet, chargée de projets numériques pour la revue. « Le numérique a beaucoup d’attraits que l’on commence à entrapercevoir dans le cadre de la littérature. Une lecture où le public est plus impliqué, dans le sens où souvent on peut lui laisser le choix de cliquer à tel endroit, d’aller lire telle chose […] permet de transmettre l’idée d’une poésie plus ludique. »
Après Laurence Olivier et Nathalie Bujold en 2023, c’est l’auteure Maude Veilleux qui, cette année, investit l’espace virtuel. Celle-ci a suggéré une collaboration avec Carol-Ann Belzil-Normand, artiste visuelle et numérique, mais également poète. « Ce qui était intéressant, c’était de créer une émulsion », continue Pauline Jacquemet. « Elles ont vraiment cherché à fusionner leurs univers : les deux participent autant à l’aspect visuel qu’à l’aspect « écriture ». […] Pour une œuvre, c’est d’abord Maude qui va proposer quelque chose, ensuite ce sera Carol-Ann, et cela montre vraiment une adaptabilité des artistes. Pour elles, c’est aussi un travail qui, comme elles l’ont dit, leur apporte autre chose, leur permet d’être stimulées différemment que dans des travaux personnels. » Leurs deux premières créations sont disponibles sur le site de la revue : La peau du calme, une modélisation d’appartement conçue avec Unity où la navigation donne accès à des extraits d’un roman en cours, et Expiré, qui explore une esthétique de l’obsolescence programmée.
Dans un épisode de balado, les deux artistes échangent sur leur vision de la littérature numérique, leur pratique et les ressorts de leur collaboration. Cette rencontre entre artisan·es est au cœur du projet proposé par la publication fondée en 1977. « La ligne directrice de la revue, c’est de promouvoir l’expressivité et aussi, une volonté forte d’offrir un espace de création aux artistes. Cette ligne directrice permet de réunir la revue papier et les résidences hypermédiatiques, parce que c’est une volonté qui guide les deux. » Recevoir des artistes en résidence, que ce soit sur le web ou dans la publication imprimée (qui accueille également un·e écrivain·e et un·e artiste visuel·le chaque année), permet à Mœbius de développer une relation plus étroite avec eux et elles, de même que de voir évoluer des projets au-delà d’un seul texte.
Tout comme son balado ou ses réseaux sociaux, les résidences hypermédiatiques de Mœbius visent aussi à multiplier les points de contact avec le lectorat, notamment les jeunes, qui pourraient, à travers cette forme interactive, faire un premier pas vers des ouvrages en format papier, croit Pauline Jacquemet. À l’heure où les revues culturelles font face à la mutation numérique et à plusieurs défis pour renouveler leur lectorat, Mœbius prend le parti de l’exploration, de l’ultracontemporain et d’un amour complémentaire pour les plateformes. « Cette initiative de résidences hypermédiatiques, elle nous permet de faire partie de cette transformation [numérique], en acceptant que la littérature et ses formes évoluent. Non pas que ça fasse disparaître, au contraire, le papier : c’est juste s’ouvrir à de nouvelles générations, à de nouvelles attentes, et de continuer à évoluer avec les enjeux de notre époque, tout en restant fidèle à notre édition papier. […] L’idée, c’est de s’adapter au mouvement de cette création numérique qui est en changement constant et de continuer […] de rendre cette littérature hypermédiatique accessible au plus grand nombre, tout en montrant que c’est un univers littéraire dans lequel on peut s’amuser. »