Les plus beaux jours de l’été sont malheureusement déjà derrière nous. Il faut désormais trouver une activité à substituer aux lectures à la plage et aux pique-niques au parc, septembre étant un mois historiquement pluvieux : 11 jours de précipitation en moyenne sur le territoire québécois. Même si les activités abondent dans le confort de nos foyers, il nous arrive de ne plus savoir quoi faire pour éviter le ménage et la vaisselle. Commencer un jeu vidéo (que nous ne terminerons probablement jamais) ou entamer notre fameuse pile de livres « à lire » (qui ne cesse de grandir) semblent parfois étrangement insatisfaisants. Un bon compromis ne serait-il pas de combiner ces deux passe-temps en un ?

Les mots ne sont pas rares dans les jeux vidéo. À une époque de plus en plus lointaine, celle des aventures textuelles des années 1970, le texte constituait le cœur même du mécanisme vidéoludique : les images, trop complexes à afficher, étaient alors décrites en 1000 mots et les actions du joueur ou de la joueuse, quant à elles, étaient sobrement résumées en un seul verbe, parfois accompagné d’un nom.  

Image issue du jeu vidéo textuelle Zork. Du texte blanc sur un fond noir.
Zork (1977) – Ici, pas besoin d’un écran 4K pour profiter pleinement des graphismes, la chance!

Rapidement, toutefois, l’hégémonie des graphismes soignés s’est installée. Les mots à lire ont alors été relayés à de simples sous-titres ou des indications d’interface : « Vous devez accomplir telle quête », « Vous êtes à tel endroit », « Appuyez sur tel bouton ». Rares sont les œuvres vidéoludiques qui utilisent le texte autrement que pour donner des informations utiles ou complémentaires sur l’univers fictionnel. Rares, oui, mais pas inexistantes. 

Voici donc une petite sélection de jeux vidéo qui, en plus de se terminer en une ou deux journées de pluie, se démarquent par leur usage astucieux de cette matière qui nous est chère : les mots.

Maître des catacombes, maître des mots : Cryptmaster

Créature à l'apparence démoniaque et démoniaque, face à la caméra.
Première rencontre avec le maître de la crypte – Difficile de croire qu’il est un amoureux des mots.

À la croisée entre le jeu de dactylographie, l’exploration de donjon et la résolution d’énigmes et de charades, Cryptmaster vous positionne à la tête d’un groupe d’aventuriers héroïquement décédés : Joro, le guerrier, Syn, le voleur, Maz, le bard, et Nix, la sorcière des mers. Votre repos éternel est toutefois interrompu par le « maître de la crypte », un être mystérieux et plutôt joueur, avec qui vous converserez régulièrement en tapant sur votre clavier. Il requiert votre aide afin de mettre son plan à exécution : alimenter sa pierre d’âmes pour prendre le contrôle du monde des vivants.

Si votre destin est des plus nébuleux – vous ne vous rappelez que trop peu de votre vie antérieure –, une chose est évidente : jamais les mots n’auront été aussi puissants et les lettres qui les composent, aussi précieuses. À l’ouverture des coffres, vous ne récupérerez pas un casque ou une épée, mais plutôt les lettres qui composent ces mots. Celles-ci permettront ensuite de vous rafraîchir la mémoire et de récupérer vos capacités – et votre puissance – d’antan, essentielles à votre aventure. 

À côté du portrait du personnage Maz se trouvent quatre cases; les trois dernières contiennent respectivement les lettre E, L et L.

Maz est sur le point de se rappeler une de ses compétences fétiches. Après avoir trouvé un « helmet » et un « shield », il a le nom de celle-ci sur le bout de la langue… Sell ? Non. Bell ? Non plus. Yell ? OUI.

Comme toute aventure, la vôtre ne se déroulera pas sans adversité. Lorsque vous voudrez vous défendre contre les monstres qui peuplent ces terres hostiles, vous devrez taper le nom des attaques, ce qui demande alors mémoire et dextérité, surtout que certains ennemis seront immunisés, par exemple, à tous les sorts contenant la lettre « G ».

Il est difficile de résumer Cryptmaster sans nuire à son charme tant il parvient à combiner de manière surprenante des genres et des mécaniques de jeu qui ne devraient pas fonctionner ensemble. Déconcertant par son originalité et son humour, il fait des mots l’affaire des mo(r)ts, mais vous devrez être bien vivant·e pour surmonter tous ses défis.

Titre : Cryptmaster
Développeur :
Paul Hart, Lee Williams, Akupara Games
Éditeur :
Akupara Games
Date de sortie :
9 mai 2024
Disponible sur : PC
Langue(s) : Anglais, Espagnol
Prix : 24.99$

Traduire pour comprendre, comprendre pour traduire : Chants of Sennaar

Décor aux couleurs chaudes (jaune, orange et rouge).
Premier étage de la tour – Attention les yeux ! On est loin du noir et du blanc du jeu précédent…

Voyageur égaré, visiteur naïf ou pèlerin attentif, cela n’a que peu d’importance. Vous vous retrouvez au pied d’une tour imposante, habitée par divers peuples qui, visiblement, ne se parlent plus. Les trop longues années, ponctuées par de trop nombreux conflits, ont créé des séparations qui paraissent insurmontables. Ils ne se comprennent plus; chacun communique avec sa propre langue sans feindre un intérêt pour celle des autres. 

Étranger dans cette structure, c’est par la déduction et l’observation que vous parviendrez, à tâtons, à comprendre ces sigles étranges – 186 au total –, puis ces nouvelles langues et finalement, ces peuples, leurs histoires, leurs craintes, leurs motivations.

Je joue à la cachette avec une enfant. On ne parvient pas à se comprendre, mais je connais les règles. Elle doit jouer de la même manière que moi, non? Chaque fois que je la trouve, elle s’exclame de ce drôle de symbole. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire?

À mesure que vous déchiffrerez ces langages, votre ascension vers le sommet de la tour sera facilitée : vous comprendrez ce que les habitants vous demandent, vous parviendrez à lire le fonctionnement des divers mécanismes qui freinent votre progression, vous découvrirez les raisons de l’existence de cette tour. 

Attention toutefois!, nul dialecte n’est exempt des préjugés et des croyances de celles et ceux qui le parlent. Ne soyez pas dupes. Tout n’est pas noir ou blanc.

Chants of Sennaar est de prime abord un simple jeu de traduction, à l’instar de Heaven’s Vault ou Sethian, agencé avec quelques séquences de résolution d’énigmes. Pourtant, c’est principalement une grande poésie, distillée dans les décors et les personnages, qui se dégage de l’expérience. Plus que jamais, il semble évident que, si la langue peut être source de problème, elle est surtout source de solution. 

Titre : Chants of Sennaar
Développeur :
Rundicsk
Éditeur : Focus Entertainment
Date de sortie :
5 septembre 2023
Disponible sur : PC, Playstation, Xbox, Switch
Langue(s) : Français, Anglais, Italien, Allemand, Espagnol et plusieurs autres
Prix : 25.99$

Réinterpréter ses classiques : Storyteller

Extrait du jeu Storyteller. Bande dessinée à 6 cases intitulée "Double poison". On y voit une femme boire du poison deux fois à la suite d'une rupture amoureuse.
Storyteller, chapitre 4, tableau 2 – Bon, d’accord, il n’y a pas beaucoup de mots ici… Beaucoup d’histoires, cependant!

Et si la reine épousait le dragon plutôt que le preux chevalier? Et si Sherlock Holmes arrêtait un homme innocent? Et si Ève développait une peur des pommes? Comment ces histoires pourraient-elles bien prendre forme?

Dans Storyteller, vous devrez créer de petites bandes dessinées aux inspirations littéraires multiples. À la manière d’un metteur en scène, vous devrez réorganiser les décors et les personnages afin de respecter le titre – imposé – de la scène : « Double poison », « Adam regarde son amour mourir », « Du caniveau au trône ». Pour ce faire, vous serez simultanément limité par le nombre de cases disponibles (généralement six) et par une poignée de décors et de personnages mis à votre disposition. À vous de les agencer astucieusement – un personnage mort dans la première case, par exemple, réapparaîtra en fantôme s’il est placé dans l’une des cases suivantes – afin de trouver une combinaison gagnante (il y a parfois plusieurs solutions). Répétez cela plus d’une cinquantaine de fois et alors seulement serez-vous digne de porter le titre de « storyteller ».

« La sorcière devient la préférée du miroir »Hmmm, comment faire ? J’ai à ma disposition trois décors – miroir, chaudron, forêt – et deux personnages – la sorcière et Blanche. Pour que la sorcière soit la plus belle du royaume, il faudrait d’abord que Blanche perde sa beauté. Peut-être pourrais-je manigancer pour que la sorcière lui jette un mauvais sort, pour qu’elle la transforme en crapaud.

Jeu de puzzle sympathique à l’esthétique soignée, Storyteller permet de s’amuser avec les grands classiques. Aucun diplôme en études littéraires n’est requis, seulement un esprit aiguisé (que certain.es qualifieraient même de « malicieux ») !

Titre : Storyteller
Développeur :
Daniel Benmergui
Éditeur :
Annapurna Interactive
Date de sortie :
23 mars 2023
Disponible sur : PC, Switch, iOS, Android (disponible avec un abonnement Netflix)
Langue(s) : Français, Anglais, Italien, Allemand, Espagnol
Prix : 19.99$

Wow !  J’ai tellement hâte à la prochaine journée de pluie pour tester tous ces jeux géniaux !

Vous, probablement

Et voici d’autres œuvres littéraires proches du jeu vidéo qui ont déjà été présentées dans ces pages

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