Un texte de Maëlle Morin et William Charest-Pépin

Les textes poétiques, traitant de la filiation, étaient présentés sous la forme de « boucles textuelles ». Des fragments découpés depuis différents livres avaient ensuite été collés sur des morceaux de bois en forme de tores ou de cylindres. De plus, plusieurs bannières, elles aussi marquées par un volume textuel conséquent, ont été suspendues dans la galerie de la Maison de la littérature pour l’occasion.

Une pratique du collage

Ce travail de la matière et de la structure du texte s’inscrit plus largement au sein de la pratique exploratoire et hybride de l’artiste, pratique qui lie littérature et formes artistiques diverses. En 2016, Éric Simon a fait paraître le livre d’artiste numérique Les mille et une phrases aux éditions Contre-mur, consacrées à la publication de littérature numérique. Chaque phrase qui compose l’œuvre est tirée d’un autre livre, lu par l’auteur entre janvier 2011 et novembre 2012. Il est possible d’accéder aux références au fil de la consultation en déplaçant le curseur. Cette méthode de découpage — ou d’emprunt — est également utilisée dans la présente exposition.

L'un des tores de bois présenté dans le cadre de l'exposition.
Oeuvre tirée du Temps de mes parents. Photo: Maëlle Morin

Exposer la cyclicité

Dans Le temps de mes parents, pour être en mesure de bien lire ce qui nous est présenté, il est nécessaire de manipuler les objets sur lesquels les textes sont inscrits. Cette manipulation passe notamment par la rotation des tores et des cylindres. Se remarque dès lors que les textes, sans ponctuation, peuvent être consultés à partir de n’importe quel point, dû à la cyclicité des objets.

Les différents tores et morceaux de bois cylindriques, quoique manipulables en théorie, sont toutefois exposés sous des présentoirs en acrylique afin de les préserver. L’exposition engage une certaine mobilité de la part des visiteur·euses, qui peuvent se déplacer pour tenter de lire l’entièreté des textes sur les tores. Pour offrir au public un aperçu de la saisie de ces objets, une vidéo conçue par Jacinthe Robillard est projetée sur place sous la forme d’un long plan séquence où des étudiant·es sont invité·es à manipuler un morceau de leur choix et à lire ce qui y est inscrit.

Matérialiser le temps répétitif de la maladie

Les bannières exposées affichent les collages textuels numérisés par l’artiste. Si chaque bannière présente un contenu différent, ce dernier se décline sous la forme de blocs répétitifs ; la réitération consiste ici en l’un des thèmes de l’exposition, et ce, en adéquation avec ce qu’un proche aidant peut vivre en accompagnant un individu aux prises avec l’Alzheimer. 

« Mon père, décédé récemment, était ingénieur de formation. Il a aussi enseigné les mathématiques au secondaire et m’a transmis sa passion pour cette science. Ma mère, bibliothécaire, a fait de même pour les livres. Tous deux, atteints de démence à des stades différents, vivaient ensemble dans une résidence pour personnes âgées. Après soixante-sept ans de mariage, il arrivait à ma mère de ne pas reconnaître son mari, mais trouvait cet étranger très gentil. Pendant quelques années, la communication avec eux a pris la forme d’incessantes répétitions, mais, avec patience, amour et compréhension, nous avons su profiter pleinement de ces moments de plus en plus précieux. »

– Éric Simon


En ce sens, les tores de bois représentent l’aspect cyclique de la thématique, cette idée de revenir au même point ; les mots (ou les groupes de mots) découpés ont été collés sur le bois en forme de moulure demi-cylindre de manière à ce que les phrases formées ne possèdent ni début ni fin, créant ainsi une lecture — ou une écriture — du recommencement.

Une déconstruction post-poétique et oulipienne

Sur place est également présentée une reproduction de la table de travail d’Éric Simon. S’y observent divers outils de mesure et de découpage ainsi qu’un livre ouvert dont des dizaines de mots ont été découpés, puis étalés ici et là dans l’atelier pour nous laisser deviner un travail de réagencement sémantique en devenir. Contrairement à des expositions de bureaux d’artistes plus voyeuristes, dont celle du bureau de Réjean Ducharme (reproduit à l’identique) au Musée de la civilisation, l’objectif ici est plutôt d’exposer le processus technique et créatif de l’artiste.

La mise en scène de la table de travail témoigne ainsi d’une volonté de déconstruction — même de dissection — de l’objet-livre, dont les restes sont exposés sur la table de travail de l’artiste.

Ces techniques de collage et de découpage font écho aux traits caractéristiques de la post-poésie définis par Jean-Marie Gleize, caractéristiques qu’Yves Citton résume ainsi : « [le] rejet de l’expressivité, [le] refus des valeurs esthétisantes, [l’]attrait pour les dispositifs, [l’]opérationalité [sic] performative (dire, c’est faire) et [le] goût pour le montage de matériaux préexistants hétérogènes. » 

Le dispositif n’est pas sans rappeler certaines initiatives oulipiennes, là où la contrainte réside dans l’assemblage de mots préalablement extraits d’ouvrages divers employés comme « base de données » littéraire ou générateur textuel. Ici, toutefois, les jeux textuels, plus que ludiques, servent au passage à interroger la forme livresque canonique et son éventuelle déconstruction.

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