Nom : La Marelle. Résidences d’écriture – Actions littéraires – Éditions
Statut : Association culturelle
Énoncé de la mission : « Lieu de croisement pour les autrices, auteurs et artistes, La Marelle organise des résidences de création, à Marseille, à La Ciotat et dans la région Sud. À partir des projets qu’elle accompagne, elle soutient et publie des formes innovantes de création littéraire, propose des actions culturelles auprès du public et des professionnels, s’efforce de faire comprendre et de transmettre l’art d’écrire et sa nécessité. »

Équipe : Fanny Pomarède (co-fondatrice et directrice générale), Pascal Jourdana (co-fondateur et directeur éditorial), Géraldine Attias (chargée de développement et partenariats), Roxana Hashemi (chargée des relations avec les auteurs et les publics), Orane Aït-Youcef (chargée d’administration et de coordination).
Année de fondation : 2010
Lieu : La Friche la Belle de Mai
41 rue Jobin, 13003 Marseille, France
Lien vers le site : https://www.la-marelle.org/

Pascal Jourdana © La Marelle

Pascal Jourdana est co-fondateur de La Marelle et y assure désormais les fonctions de directeur éditorial. À l’origine en 2001 de l’une des premières agences littéraires en France, Premières impressions, il a également été journaliste et conseiller littéraire. Une partie importante de son activité est actuellement consacrée à l’enseignement : depuis plusieurs années, il intervient à Aix-Marseille Université sur les questions d’écriture numérique, d’édition et de médiation culturelle.

Comme tu es le co-fondateur de La Marelle, peux-tu nous raconter comment cette association s’est créée ? Quel était le projet de départ de la structure ?

Il y a d’abord eu une « Marelle avant La Marelle », une structure qui s’appelait « Des auteurs aux lecteurs ». C’était un nom programmatif : l’objectif au départ était de mener des actions publiques diverses qui tenaient de la médiation (rencontres en librairie, en bibliothèque, festivals, activités de conseil littéraire…). J’ai fait ça seul pendant quelques années. Puis, j’ai commencé à travailler avec Fanny Pomarède, qui est l’actuelle directrice de La Marelle, et on a construit ensemble la suite du projet. Philippe Foulquier, qui était le directeur de la Friche, le tiers-lieu culturel installé dans le quartier de la Belle de Mai à Marseille, nous a proposé de reprendre un projet de Jean-Claude Izzo, la Villa des auteurs, dont l’idée était de faire venir des auteurs et autrices dans la ville, pour qu’iels produisent un texte sur cet espace et qu’iels profitent du lieu pour travailler. Nous avons eu carte blanche pour développer le projet. C’est à ce moment que nous avons cofondé La Marelle avec Fanny autour d’une réflexion commune. L’idée centrale était vraiment de recevoir des auteur.ices du monde entier, travaillant tous les genres littéraires, et pour un temps de présence essentiellement consacré à la création. On a pu installer nos bureaux et un appartement pour les résidences d’écriture à la Friche. Nous sommes donc très ancrés dans un espace spécifique et c’est le principe de résidence dans ce lieu qui a fait naître le reste des projets de l’association.

Le nom choisi pour la structure fait écho au roman de Julio Cortázar, Rayuela, ou Marelle dans sa traduction française. On le retrouve cité en ouverture de la revue radiophonique de La Marelle, « La première chose que je peux vous dire… », et la page d’erreur du site est une cartographie du livre. Marelle est célèbre pour les différents ordres de lecture qu’il propose : c’est le fruit d’une expérimentation à la fois narrative et matérielle, dont la création littéraire numérique s’est souvent réclamée. Est-ce que ce choix était déjà une manière d’affirmer votre volonté d’aider à produire des formes littéraires nouvelles ?

C’est vrai qu’il n’y a pas de hasard : c’est un nom qui nous représente bien ! Il nous fallait à l’origine quelque chose qui corresponde à l’espace que nous souhaitions construire, et pour cela on a voulu se placer sous le patronage d’un auteur. On aurait pu nommer la structure « Villa Jean-Claude Izzo », mais ça aurait trop orienté la perception du projet sur la production littéraire marseillaise et sur le genre du polar. Pour ouvrir au contraire les choses, on a retenu Cortázar, dont je suis un grand lecteur et qui a un lien avec Marseille puisque son dernier roman, Les autonautes de la cosmoroute, est sous-titré « Voyage intemporel de Paris à Marseille » et se termine sur le Vieux Port.

Cortázar nous fournissait la dimension internationale que nous voulions donner aux résidences, le clin d’œil géographique à Marseille, mais aussi l’idée, qui est centrale dans le projet de La Marelle, du lien avec les autres disciplines artistiques représentées dans l’espace de la Friche. On souhaitait en effet que les auteur.ices invité.es ne soient pas isolé.es dans leur tour d’ivoire, mais puissent être en interaction avec la radio (Radio Grenouille), la musique (le Cabaret Aléatoire), les arts graphiques (le Triangle), le théâtre… L’idée était de mettre leur travail en friction avec tout ça. Et Cortázar, justement, est un auteur qui a travaillé en collaboration avec des peintres, des cinéastes comme Buñuel, de manière très ouverte. Il avait cette capacité à inventer des formes qui était ce que l’on souhaitait proposer dans cet espace. De ce point de vue, l’expression « arts littéraires », qui est employée au Québec et que j’ai découverte notamment dans nos échanges avec l’organisme de Québec Rhizome, décrit assez bien l’approche que nous encourageons.

marelle en escargot en noir et blanc
La marelle en escargot qui est devenue le logo de La Marelle. © La Marelle

Comme la veuve de Cortázar, Aurora Bernárdez, préférait que le nom de son mari soit associé à un endroit consacré à son œuvre, on a pensé à Marelle, son roman le plus célèbre. Cortázar utilise une représentation en croix de ce jeu, que l’on trouve souvent sur les couvertures des différentes éditions, mais nous avons retenu l’image d’une marelle en escargot, qui correspond à l’une de ses versions les plus anciennes. Cette forme nous a aidés à définir ce que l’on souhaitait mettre en place : une structure qui soit comme une maison, en cercle, où l’on puisse sauter d’une case à l’autre, d’une écriture et d’un type d’événement littéraire à l’autre. Et puis l’escargot permet d’évoquer un mouvement à la fois centrifuge et centripète : de l’intérieur part une œuvre qui va vers le monde, vers les lecteur.ice.s ; de l’extérieur viennent les auteur.ices du monde entier, qui se nourrissent de ce qui les entoure pour travailler.

Les résidences d’écriture sont un élément majeur de la démarche de La Marelle. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur leur fonctionnement, les différents types de résidence et les types de projet que vous souhaitez mettre en avant ?

Nous proposons diverses formes de résidence, dont des résidences d’écriture jeunesse et d’écriture numérique, qui se distinguent de ce qui existe ailleurs sur plusieurs plans. Aujourd’hui, beaucoup de résidences de création ont des contraintes qui sont soit liées à un genre précis (écriture de romans, de théâtre, de poésie…) soit à des exigences de « résultats » qui font qu’on demande aux écrivain.es de produire un certain nombre de choses (commande de textes, ateliers, rencontres avec le public…). On a décidé de balayer au maximum ces cadres : nous ne demandons rien à nos auteur.ices. Il n’y a pas de commande, pas de compensation en termes de médiation auprès du public : ça perturbe parfois les gens qu’on accueille ! Mais on constate qu’en posant les choses de cette façon, cela produit toujours un résultat qui va varier selon les personnes : on leur propose diverses idées, iels peuvent aussi organiser ce qu’iels veulent avec le public en fonction de leur projet. L’aspect multi-artistique de la Friche favorise cette liberté : iels peuvent produire un texte pour notre émission de radio s’iels le souhaitent, animer nos réseaux sociaux, présenter leur bibliothèque au public, on fait aussi des brunchs littéraires qui créent des échanges très spontanés.

Et puis cette absence de contraintes nous permet aussi d’accueillir des genres qui sont parfois encore considérés comme des « sous-genres » : la littérature jeunesse, le policier, la science-fiction, etc. Certaines résidences relèvent aussi d’une forme de recherche-création : le livre numérique de Matthieu Duperrex, Voyages en sol incertain, se situe par exemple entre le récit, la recherche esthétique et la philosophie. Cet été, nous accueillons aussi Carole Bisenius-Penin, qui est enseignante-chercheuse à l’Université de Lorraine, et qui va étudier le travail en résidence de Laurence Vilaine pour un duo chercheuse-écrivaine !

Nous disposons aujourd’hui de multiples lieux de résidence : grâce au soutien de la Direction régionale des affaires culturelles, nous avons pu obtenir des financements pour faire des résidences jeunesse en région. Depuis peu, nous nous sommes aussi installés dans un nouveau lieu à La Ciotat, la villa Deroze. On aimerait que d’ici un à deux ans, cet endroit puisse accueillir de jeunes diplomé.es de parcours d’écriture.

Mais on garde en tout cas cet ancrage dans un territoire. Certaines résidences d’écriture misent sur l’isolement des écrivain.es, chez nous, ce n’est pas du tout ça. À Marseille, notamment, on cherche à créer des liens avec la culture artistique de la ville : il y a toute une histoire de la poésie, des arts performatifs, du théâtre, de la musique électronique, du rap… Autant de choses qui ont un rapport avec l’écriture mais ne relèvent pas forcément de l’écriture romanesque « classique », même si Stendhal ou Dumas sont aussi passés par là.

L’une des particularités de La Marelle, ce sont les résidences et les appels à projets numériques. Comment est-ce que ça rentre dans votre démarche ?

C’est quelque chose qui nous est venu initialement grâce à une proposition d’auteur.ices. J’avais invité Anne Savelli pour la première année des résidences, quand les choses se faisaient encore par sollicitation directe. Elle travaillait avec Pierre Ménard sur un projet inspiré des Autonautes de la cosmoroute : l’idée était de refaire le parcours de Cortázar et de Carol Dunlop de Paris à Marseille, mais via Google Street View, en utilisant les captures d’écran pour écrire à partir des images. Ils sont donc venus ensemble pour la résidence, puis nous ont proposé d’éditer le résultat, qui a donné lieu à Laisse venir, notre première publication numérique.

Suite à ça, on a eu des subventions de la Drac, qui a eu vent du projet, pour que l’on reconduise l’expérience chaque année : c’est ainsi que sont nées les résidences numériques. L’appel à projet était très ouvert : on essayait de définir ce que pouvait être une œuvre littéraire non homothétique, puisque c’est ce qui nous intéressait avant tout. Nous avons mené sur ce point une réflexion commune avec Colette Tron d’Alphabetville, une structure consacrée aux écritures multimédias.

L’édition numérique est donc venue en complément de nos activités de résidence, mais à l’avenir, je vais m’engager plus spécifiquement dans cette partie du travail, pour réfléchir notamment à la question de la diffusion de ces œuvres (qui rencontrent aussi des obstacles liés à l’obsolescence, la disparition…).

On cherche également à développer un axe patrimonial, autour de rééditions d’œuvres numériques plus anciennes : actuellement nous collaborons par exemple avec Gabriel Tremblay-Gaudette et Arnaud Regnauld, qui sont en train d’achever la traduction française d’afternoon, a story de Michael Joyce, pour produire, en plus de la version gratuite qu’ils vont diffuser, une édition parallèle commercialisée. L’idée serait d’adapter un certain nombre de fonctions de l’œuvre originale : c’est une réflexion éditoriale importante qui tient aussi de la remédiatisation. C’est en cela que le patrimoine rencontre aussi vraiment la création. Ils utilisent le logiciel Twine, qui permet de se rapprocher de la forme originelle de l’œuvre, conçue sur Storyspace, un logiciel créé la même année qu’HyperCard, en 1987, et spécifiquement développé pour la création d’hypertextes. On souhaiterait conserver cette structure, mais avec un travail de code spécifique, afin d’en faire une application.

Comment pensez-vous, à La Marelle, le développement de vos collections numériques ? Parfois, on note un dialogue avec les collections papier : par exemple, L’esprit d’escalier de Pierre Ménard est une production La Marelle qui existe sous deux formes distinctes, une version numérique et un jeu de cartes imprimé.

En réalité, l’identité des éditions numériques dépend beaucoup des propositions des auteur.ices, ce qui a pour effet que nos collections contiennent des formats divers. Jusqu’ici, la ligne éditoriale numérique s’est construite projet par projet. Parfois, nous accompagnons jusqu’à la publication ceux et celles qui ont été sélectionné.es pour l’appel à résidence numérique. Mais ce n’est pas systématique : les auteur.ices préfèrent parfois s’auto-publier en ligne (ce qui a d’ailleurs eu pour effet la disparition de certaines œuvres, du fait de l’obsolescence). Il arrive aussi que certaines de nos productions numériques soient plus homothétiques, lorsqu’on produit en même temps un livre imprimé : le livre numérique issu de la résidence de Matthieu Duperrex, par exemple, qui reste par ailleurs une vraie édition séparée puisqu’il contient quelques médias supplémentaires. Autre cas de figure encore : il m’arrive de solliciter certain.es auteur.ices spécifiquement pour réaliser des éditions numériques de leur projet.

Lorsque Nicolas Tardy a postulé à l’appel (sans succès, car un autre projet avait alors séduit le jury), je lui ai proposé de travailler directement d’éditeur à auteur dans ce sens. Nous sommes alors tombés d’accord pour développer un autre de ses projets, Vampirisation, un recueil poétique inspiré du film muet Les Vampires de Louis Feuillade [Cette œuvre fait l’objet d’un article sur Le carnet]. Et puis parfois on convainc aussi des auteur.ices de s’essayer au numérique. Éric Pessan était assez rétif à ce type de publication, disait ne jamais lire sur écran et était très attaché au papier. Je lui ai montré quelques œuvres et finalement il a été inspiré et m’a parlé d’un livre, Biji Éphémérides, qu’il avait du mal à placer chez les éditeurs traditionnels, une forme assez inhabituelle, composite. Le fait de pouvoir jouer sur le non-linéaire, l’aléatoire et l’hybride l’a séduit, et on en a fait une édition numérique.

Comment envisagez-vous l’évolution de votre catalogue et de votre ligne numérique pour les temps à venir ?

Capture d’écran du catalogue de livres numériques de La Marelle.

Actuellement, on travaille surtout sur deux aspects : ancrer notre image en tant que maison d’édition et développer de nouvelles manières de diffuser les œuvres numériques.

En ce qui concerne nos activités éditoriales, on voit se dessiner notre ligne numérique au fil du temps. Elle repose sur la singularité et la variété des œuvres proposées, qui sont toujours assez insolites, un peu à la manière de ce que propose la maison d’édition Monsieur Toussaint Louverture, en travaillant pour chaque livre les dimensions matérielles d’une façon spécifique. Nous allons mettre en place un catalogue papier, faire des présentations de programme afin d’être visible en tant qu’éditeur numérique.

De plus, comme on souhaite accompagner nos auteur.ices jusqu’au bout, cela implique aussi d’assurer la diffusion des œuvres numériques et leur présence dans l’espace public. Sur ce plan, il y a beaucoup de choses à inventer. Malgré l’intérêt des lecteur.ices pour ce que l’on propose, il est courant de se heurter à des problèmes de littératie numérique, même en proposant les ouvrages gratuitement : les modalités d’acquisition et de consultation de l’objet posent problème, sans parler des questions de compatibilité des logiciels. Je pense qu’il faudrait travailler sur une webapp qui permette aux gens de consulter nos œuvres, un peu comme Spotify, avec un système d’abonnement et de téléchargement en mémoire cache, en attendant que l’on puisse proposer l’œuvre totalement hors connexion.

Et puis il y a la question de la présentation des œuvres numériques dans des festivals ou des rencontres avec les auteur.ices. Là aussi, c’est assez passionnant, car il faut trouver des manières de donner à lire ces objets qui ont des caractéristiques techniques particulières. Au moment de la résidence de Martin Page et Samuel Jan pour Emma et la nouvelle civilisation, on avait pu expérimenter autour de la notion de lecture collective. On avait les premiers textes codés, prêts à être lus, et on a fait venir le public en proposant une projection : c’était génial ! Tout le monde regardait dans la même direction, mais lisait à son rythme, on entendait les réactions en décalé, mais chacun.e pouvait partager cette expérience en se trouvant au même endroit, au même moment, face au même objet. Les auteurs pouvaient aussi avoir un rôle d’interprétation au cours de la projection, contrôler le rythme du passage d’une séquence à l’autre, par exemple.

Pour moi, c’est vraiment l’un des grands enjeux de l’édition numérique : trouver comment faire lire au public ces œuvres sans que cela devienne une usine à gaz, tout en faisant saisir la diversité des formes qui existent sous une même étiquette. Il y a encore du chemin à faire !

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