Dirigé par Jonathan Lessard à l’Université Concordia, le groupe de recherche LabLabLab se consacre aux récits émergents, c’est-à-dire aux récits qui ne sont pas anticipés ou écrits par un.e auteur.ice humain.e mais plutôt créés par l’interaction entre un.e joueur.se et un programme informatique. Tout particulièrement, le LabLabLab s’intéresse à l’interaction en langage naturel (« natural language interaction », ou NLI), une approche qui était très présente au début de l’ère vidéoludique, dans les années 1970 alors que les aventures textuelles étaient à leur paroxysme, avant d’être délaissée au profit d’interfaces plus graphiques et d’interactions plus narrativisées.
En parallèle de leur travail de création de jeux vidéo, le LabLabLab publie également des articles scientifiques qui relatent des décisions de développement ou des conclusions qui ont pu être tirées à la suite de leurs expérimentations.
En offrant aux joueur.ses la possibilité de formuler, mot pour mot, leur réponse, les dispositifs conversationnels encouragent à la fois la créativité et l’improvisation, mais aussi la production d’une œuvre vidéoludique unique et non linéaire, modulée selon les actions des joueur.ses. À ce titre, le LabLabLab défend l’idée que les conversations, lorsqu’elles sont motivées par un objectif précis, peuvent être considérées comme des jeux à part entière, et ce, avant même qu’elles ne s’inscrivent dans un système ou un univers narratif plus grand.
C’est d’ailleurs ce que le groupe explore dans chacun de ses projets : le choix des mots revêt alors une importance capitale. Pour arriver à vos fins, quelle approche préconiserez-vous ? L’honnêteté ? L’empathie ? L’humour ? L’intimidation ? Une chose est certaine : vous devrez constamment vous adapter à votre destinataire, déduire son état de pensée par ses réponses et ajuster votre discours en conséquence.
Dans A Tough Sell (2015), en tant que vilaine belle-mère et sorcière, vous devrez gagner la confiance de Blanche-Neige et la convaincre de manger une pomme empoisonnée.
Dans SimProphet (2015), en tant que prophète, vous devrez prêcher pour votre divinité auprès du berger Ambar et, surtout, le persuader de l’importance et de la véracité de vos propos.
Dans SimHamlet (2016), en tant qu’employé de la Cour, vous devrez interroger le croque-mort du village, afin d’éclaircir les événements qui ont causé la mort d’Hamlet, d’Ophélia, de Polonius et de plusieurs autres personnes éminentes.
Dans Subject and Subjectivity (2017), en tant que confident.e, vous devrez aider vos amies à trouver l’amour en sélectionnant pour elles les meilleurs prétendants, selon leurs préférences.
Sans perdre de vue sa vocation, le LabLabLab s’écarte parfois des jeux purement textuels et conversationnels pour expérimenter avec d’autres systèmes profitant du NLI.
Dans Hammurabi (2017), en tant que roi de Babylone, vous devrez gérer l’agriculture, le territoire et le bien-être de votre royaume avec l’aide de vos conseiller.ères. Attention, toutefois, tou.tes ne sont pas compétent.es et tou.tes ne sont pas honnêtes; certain.es essayeront de vous charmer pour gagner du pouvoir, alors soyez attentifs aux mots qu’ils et elles utilisent pour déceler leurs intentions.
Dans Jacques le Fataliste, une adaptation du roman du même nom de Diderot, en tant que maître de Jacques, vous converserez à propos de l’amour, du destin, en sélectionnant des options narratives. Ici, il n’y a pas d’objectifs à proprement parler, si ce n’est qu’approfondir la discussion au gré de vos intérêts. Pour un aperçu plus complet, nous publierons la semaine prochaine dans le Carnet de la fabrique du numérique le texte de William Pépin « Jacques le fataliste » de Jonathan Lessard : adapter pour mieux bifurquer.
Chroniqueur, générateur d’histoires humaines
Dernier projet en date du LabLabLab, Chroniqueur se présente comme une plateforme d’expérimentation sur l’émergence narrative, comme une vaste simulation de l’évolution humaine, méticuleusement documentée. Chaque partie de Chroniqueur implique la simulation totale de milliers de vies. Chaque individu généré a un nom, une famille, des intérêts, des problèmes, des ambitions, et chacune de ses décisions est motivée par une multitude de facteurs externes : comme c’est le cas dans notre monde, les actions ont des conséquences – positives et négatives – sur les autres.
Rédiger des milliers d’histoires uniques et évolutives représente une tâche plus qu’herculéenne pour des auteur.ices. Dans cet univers qui se veut dynamique et autonome, les histoires doivent plutôt s’écrire d’elles-mêmes ou, du moins, de manière automatisée, au gré du hasard et de la curiosité des joueurs et joueuses. C’est alors Blabbeur, une extension de génération de textes pour Unity, développée par le LabLabLab, qui s’en charge. Cette extension permet notamment de déterminer des conditions pour sélectionner ou rejeter des textes ou encore de prioriser ceux qui répondent à certains critères préétablis, ce qui permet d’assurer un certain contrôle qualité. Chroniqueur devient alors un immense bassin de potentiel narratif, de récits qui demandent à être découverts et habités par les joueur.ses.
Deux attitudes sont possibles à l’égard de Chroniqueur : prendre du recul, chercher une vision d’ensemble en consultant les archives pour en apprendre davantage sur les humains qui peuplent ce monde ou, au contraire, jouer un rôle actif dans l’histoire en incarnant le personnage de son choix. Si la plateforme en est encore à ses balbutiements, il est possible d’imaginer sans peine tous les jeux qui pourraient s’y intégrer dans un futur pas si lointain : de la gestion de ressources aux conflits politiques, en passant par de la survie ou du commerce. Chroniqueur, par la richesse de son contenu, pourrait ainsi devenir le terreau fertile d’une multitude d’autres expériences ludiques, chacune régie par ses propres règles mais tirant profit de l’écosystème développé par le LabLabLab. Une véritable poupée russe !
Nom : LabLabLab
Statut : Groupe de recherche
Énoncé de la mission : Réexplorer le potentiel de l’interaction en langage naturel dans un contexte de conversations avec des personnages non joueurs (PNJ)
Année de fondation : 2014
Lieu : Montréal, Québec