Lifeline est un jeu mobile qui peut être décrit comme une « texting adventure [1] ». Selon la typologie des arts littéraires développée par le Laboratoire Ex situ, il pourrait aussi être catégorisé comme un jeu vidéo à teneur littéraire [2]. Publié en 2015 par la compagnie 3 Minute Games, ce jeu permet aux joueur·ses de communiquer avec un astronaute, Taylor, échoué sur une planète semblant déserte. La ou le joueur·se devient le seul point de repère et la seule source de conseil pour le protagoniste, étant l’unique personne qu’il réussit à contacter. Le but de l’aventure sera de guider le personnage à travers plusieurs décisions dans l’espoir que celui-ci puisse être secouru. Chaque conseil donné à Taylor influence le déroulement du récit. Les conversations, prenant la forme de textos stylisés, permettent une immersion profonde dans l’univers, donnant l’impression de réellement parler à une autre personne.

Un jeu où l’attente est essentielle
Pour ajouter au réalisme de l’expérience, les créateurs de Lifeline, Colin Liotta, Dave Justus et Mars Jokela, ont joué avec la temporalité du récit. La conversation avec Taylor se déroule en « temps réel ». Cela veut dire que, lorsque Taylor se déplace d’un endroit à un autre, on doit réellement attendre la durée du déplacement de l’astronaute avant de pouvoir faire avancer l’histoire. Certaines pauses seront de quelques minutes seulement, tandis que d’autres, comme lorsque Taylor dort, dureront plusieurs heures. Ce jeu de temporalité retire une partie du pouvoir aux joueur·ses, puisque la durée de l’aventure et le moment de jeu ne sont plus entre leurs mains. Cependant, bien qu’on doive attendre que Taylor soit prêt pour faire avancer le récit, celui-ci attendra aussi le retour au jeu de son interlocuteur·ice avant de faire autre chose, ce qui crée une dépendance mutuelle.

Par sa manipulation de la temporalité, le jeu Lifeline est aussi un jeu de suspense. La survie de Taylor est constamment remise en question. Les éléments effrayants de cette planète déserte ne font que s’additionner au courant du récit. Ces mystères attirent et retiennent l’attention du ou de la joueur·se. Ceci peut rendre les périodes d’attente d’autant plus douloureuses, puisque le temps accroît l’anticipation de toutes sortes de scénarios possibles tandis que Taylor, l’astronaute, « vit » les événements.

Il y a plusieurs fins aux jeux Lifeline. Cependant, la majorité des embranchements mène au même résultat. Le Lifeline Wiki explique les différents résultats possibles : « While most games have one « true » ending, many choices will lead to the main character dying, very rarely, some will have other alternative endings with the main character surviving, but a twist [3]. » En effet, les choix effectués peuvent réellement mettre fin au récit, puisque les dangers menacent constamment le protagoniste. Cependant, en utilisant sa logique, il est possible de réussir, relativement facilement, à sauver la vie de l’astronaute.
La « texting adventure » et les frontières du jeu vidéo
Avec Lifeline, 3 Minute Games affirme populariser le genre du « texting adventure » en temps réel [4]. La dernière itération continuant le récit de Taylor est Lifeline : Beside You in Time, publiée en 2022, soit sept ans après la sortie du premier. 3 Minute Games a aussi produit plusieurs autres propositions qui font partie du « texting adventure genre » dans la dernière décennie, notamment la Green Series, avec des titres comme Lifeline : Bloodline, Lifeline : Crisis Line ou Lifeline : Flatline, qui laissent Taylor de côté pour s’intéresser à de nouveaux personnages tout aussi captivants. Leur succès continu met en lumière le potentiel de ce type d’œuvre, où l’interactivité et la temporalité sont des éléments clés de l’expérience.
Cette œuvre, créée par un studio de jeu vidéo et publiée sur des plateformes habituellement investies par ce type de producteur, se catégorise facilement sous le terme « jeu ». Or, l’absence de support visuel – autre que la stylisation des textos envoyés par l’astronaute – et le minimalisme de l’interactivité dans le jeu pourraient placer l’œuvre du côté plutôt littéraire que vidéoludique du spectre, si nous suivons les réflexions de Martin Ringot sur les frontières entre les deux arts [5]. La catégorisation des jeux à teneur littéraire, comme Lifeline, est un cas particulièrement intrigant. Se trouvant à la lisière des genres, l’œuvre nous permet de regarder de près la problématique séparation traditionnelle des arts par médias, alors que l’interactivité se trouve déjà en germe dans une simple discussion.
Titre : Lifeline
Créateur·ice : Dave Justus
Producteur : 3 Minute Games
Date de parution : 16 avril 2015
Liens vers l’œuvre :
iOS : https://apps.apple.com/ca/app/lifeline/id982354972
Android : https://play.google.com/store/apps/details?id=com.threeminutegames.lifeline.google&pli=1
Type d’œuvre : jeu mobile
Support(s) numérique(s) utilisé(s) : téléphone cellulaire, apple watch
[1] 3 Minute Games. « Lifeline », Three Minute Games. https://www.3minute.games/.
[2] Audet, René (dir.). 2024. « Arts littéraires – mieux les comprendre », Laboratoire Ex situ. https://ex-situ.info/projets/nommer-les-arts-litteraires/.
[3] « Lifeline Wiki », Fandom. https://lifelinegame.fandom.com/wiki/Lifeline_(Series)#:~:text=While%20most%20games%20have%20one,Rewind%20and%20Fast%20Mode%20options.
[4] 3 Minute Games. « Lifeline », Three Minute Games. https://www.3minute.games/.
[5] Ringot, Martin. 2018. « De la littérature au jeu vidéo : le spectre de la narration interactive », Itinéraires. https://doi.org/10.4000/itineraires.3948.