En 2011, le Conseil du Trésor du Québec adoptait le standard sur l’accessibilité d’un site Web en vertu de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées[1]. Si ce standard, mis à jour en 2018, ne s’applique qu’aux ressources numériques créées et distribuées par les organismes publics et gouvernementaux[2], plusieurs sites Web adoptent les principes qui y sont énoncés. Ces principes s’inspirent d’ailleurs du World Wide Web Consortium (W3C) et de son Web Content Accessibility Guidelines (WCAG)[3].

Une littérature accessible

Plusieurs éditeurs et éditrices de littérature numérique suivent ces standards pour la publication de leurs œuvres. L’Association nationale des éditeurs de livres du Québec (ANEL) est particulièrement impliquée dans le mouvement pour l’accessibilité des livres, qu’ils soient papier ou numérique. Elle souhaite permettre l’accès à tout un chacun aux œuvres écrites, source première de diffusion des savoirs, mais aussi se conformer à une législation de l’Union européenne qui « exigera que l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de l’édition numérique […] soit accessible dans toute l’Union européenne[4]. »  

Pour bien comprendre les démarches entreprises par l’ANEL, il faut d’abord connaître sa définition de l’accessibilité. Mélissa Castilloux, testeuse et formatrice en accessibilité numérique au National Network for Equitable Library Service (NNELS), la décrit simplement comme l’absence d’obstacle pour accéder à un lieu, à un objet ou à une ressource[5]. Dans le contexte de la littérature, cette définition implique que la lecture se fait sans entrave pour toute personne souhaitant consulter un document écrit, peu importe les limitations imposées par son corps.

Par exemple, une personne avec un handicap physique pourrait être incapable de tenir un livre ou de tourner les pages, voire de manipuler une souris d’ordinateur; une personne avec des troubles de la vue, quant à elle, pourrait avoir de la difficulté à discerner les lettres sur une page ou sur un écran. Ainsi, les éditeurs et éditrices doivent prendre ces limitations en considération lorsqu’ils et elles produisent un ouvrage écrit afin qu’il soit lisible par les individus atteints de déficience perceptuelle. Dans ce contexte, la littérature numérique fait face à des défis qui lui sont propres, mais, en retour, propose des solutions uniques qu’il serait parfois difficile d’imaginer pour l’imprimé.

La littérature numérique

En effet, le livre numérique doit s’adapter à l’interface de lecture de l’usager ou de l’usagère, peu importe l’appareil utilisé. Que la lecture se fasse sur une liseuse, une tablette, un ordinateur ou un téléphone intelligent, le texte doit être accessible à l’ensemble de la population, qu’elle souffre d’une limitation physique ou non. Le fichier produit doit ainsi être réfléchi en fonction de l’accessibilité de son contenu, et ce, à toutes les étapes de la chaîne éditoriale. Il semble évident que les maisons d’édition qui produisent des livres numériques doivent les programmer de façon qu’ils soient ajustables selon les besoins du lecteur et de la lectrice, peu importe l’application de lecture qui est choisie[6].

Pour y arriver, l’ANEL suggère que le livre ait les caractéristiques suivantes : le contenu doit être ajustable, les images doivent être accompagnées d’une description alternative et le fichier doit être facilement navigable et il doit favoriser la synthèse vocale[7]. Le contenu est considéré comme ajustable si les caractères affichés à l’écran sont modulables, soit par le choix de la police et de sa taille ou encore par le contraste entre le texte et le fond d’écran[8].

En ce qui a trait aux descriptions alternatives, elles permettent aux utilisateurs ayant des problèmes visuels d’accéder à la couche sémantique imagée créée par les illustrations, photographies et graphiques intégrés à un ouvrage. En effet, le texte décrivant l’image peut être lu par les programmes de synthèse vocale et ainsi informer le lecteur ou la lectrice de ce qu’elle représente[9]. Toutefois, pour y arriver, le texte doit être adapté pour ces programmes : il faut, par exemple, indiquer quels passages sont écrits dans d’autres langues afin d’ajuster l’accent de la voix de lecture ou encore délimiter et identifier les sections afin que le lectorat puisse suivre la progression du texte de manière adéquate[10]. Ces mêmes sections devraient aussi se retrouver dans une table des matières bien construite, avec les niveaux de titres bien indiqués, puis être cliquables afin de naviguer entre elles de manière simple et efficace[11].

Ces principes aident particulièrement celles et ceux qui vivent avec un handicap physique ou visuel, mais aussi qui ont des troubles d’apprentissage ou d’acquisition et d’automatisation de la lecture. C’est le cas, notamment, des personnes dyslexiques pour qui l’effort de décodage des lettres et du texte est particulièrement prenant. Les mesures d’accessibilité proposées par l’ANEL leur permettent d’accéder plus facilement au sens du texte en diminuant le travail cérébral requis pour le décodage et l’assimilation[12].

Pour atteindre ces standards, Mélissa Castilloux et Mélissa Haquenne, product manager, services aux éditeurs pour De Marque, recommandent l’utilisation du format ePUB 3.2. Ce format exploite les technologies actuelles, qui ont été développées pour assurer l’accessibilité des livres numériques, à leur plein potentiel[13]. Ce format de fichiers utilise le HTML5, langage de balisage par excellence du Web, pour changer l’affichage du texte selon les besoins du lectorat. Cette flexibilité fait en sorte que le contenu peut être ajusté à la guise de l’usager ou de l’usagère qui peut aussi utiliser un outil de synthèse vocale s’il ou elle en a besoin[14]. L’ePUB 3.2 est aussi programmé pour la création de tables des matières cliquables, favorisant la navigation entre les différentes parties du texte[15]. En fait, l’utilisation du HTML5 comme langage de programmation octroie au fichier pratiquement toutes les fonctionnalités d’un site Web, ce qui favorise largement l’intégration d’options d’accessibilité aux livres numériques.

La littérature sur Internet

Quelques exemples d’ouvrages publiés sur Internet montrent ce à quoi l’édition accessible peut ressembler. Nous allons nous concentrer sur la Bibliothèque mobile de littérature québécoise, un outil développé par l’équipe de Littérature québécoise mobile, pôle Québec.

En cliquant sur les points de suspension en haut à droite de la page de la liseuse web, les lecteurs et lectrices se retrouvent devant plusieurs options. D’abord, les lettres « AA » permettent d’ajuster le format du texte en changeant la police et la taille des caractères, de même qu’en modifiant le contraste entre les lettres et le fond d’écran. Ce même bouton sert à ajuster l’espacement entre les lignes et leur alignement dans la page afin d’offrir une expérience de lecture optimale.

L'image présente une capture d'écran de la Bibliothèue mobile de littérature québécoise. Le nom de l'auteur, « Antoine Gérin-Lajoie » est écrit en grands caractères noirs au haut de la page. Sous le nom se trouve le titre de l'ouvrage, en caractères noirs un peu plus petits. Il s'agit de « Jean Rivard : Scènes de la vie réelle ». Sous le titre se trouve le titre de la section, soit « Préface ». Le mot se trouve au centre de la page, en caractères noirs encore plus petit que le titre du livre. Les premières lignes du livre sont affichées sous le mot « préface » en caractères noirs, encore plus petits. Le fond d'écran est gris pâle. Tout au haut de la page se trouve un bandeau blanc avec, au milieu, le nom de l'auteur et le titre du livre. Tout à fait à gauche de ce bandeau se trouvent le mot « bibliothèque » et un livre ouvert. Tout à fait à droite se trouvent un X bleu et les lettres « AA ». Sous les lettres « AA » se trouve un menu avec des options telles que le contraste texte/fond, la taille des caractères, l'interligne, la police et l'alignement. Ce menu est présenté en caractères noirs dans un rectangle blanc.
Capture d’écran du livre « Jean Rivard : Scènes de la vie réelle » tel qu’il est publié dans la Bibliothèque mobile de littérature québécoise.

Dans ce même menu se trouve un bouton avec un livre ouvert. Lorsqu’on clique dessus, la table des matières s’affiche à l’écran. Chaque élément est cliquable, permettant ainsi au lectorat d’accéder directement à la section souhaitée. Par ailleurs, l’organisation visuelle de la table des matières montre clairement le niveau des titres : la hiérarchie des sections est donc une composante facilement discernable pour les lecteurs et pour les lectrices. Les notes de bas de page, quant à elles, bénéficient du même système de navigation. Le lectorat n’a qu’à cliquer sur l’appel de note pour être redirigé à l’élément qui lui est associé, au bas de la page. La même mécanique est utilisée pour retourner dans le corps du texte, là où l’appel est placé. En ce qui a trait aux paragraphes, ils sont numérotés à des fins de référencement du texte, mais aussi pour faciliter la navigation. En effet, il est possible de choisir le numéro du paragraphe à consulter dans un menu défilant au bas de la page. Finalement, l’affichage dynamique du site Web fait en sorte que le texte s’ajuste à la taille de l’écran sur lequel il est consulté. Il est donc accessible à tout un chacun, peu importe le dispositif choisi pour la lecture.

L'image montre la table des matières du « Journal » d'Henriette Dessaulles, tel qu'il est publié dans la Bibliothèque mobile de littérature québécoise. Sur un fond d'écran blanc se trouve un bandeau blanc avec, de gauche à droite, le mot « Bibliothèque, un livre ouvert, le nom de l'autrice et le titre de l'oeuvre, les lettres « AA » et un X bleu. Sous ce bandeau se trouve le nom de l'autrice, en gros caractères noirs, puis le titre de l'oeuvre sous ce nom. Le titre, « Journal » est aussi en caractères noirs. Sous le titre sont les différentes sections du livre. Nous commençons avec le premier cahier, suivi de l'année 1874, puis des mois de l'année de septembre à décembre. Sous le mois de décembre se trouve l'année 1875, puis les mois de janvier à avril. Le tout est écrit en caractères noirs.
Capture d’écran de la table des matières du « Journal » d’Henriette Dessaulles, tel qu’il est publié dans la Bibliothèque mobile de littérature québécoise.

Toutefois, la Bibliothèque mobile de littérature québécoise ne suit pas toutes les recommandations faites par l’ANEL et par mesdames Castilloux et Haquenne. Afin de rendre les ouvrages accessibles à tout le monde, un système de synthèse vocale serait nécessaire. Certaines plateformes, comme VitalSource Bookshelf, montrent des exemples réussis de ce genre de fonction. La vitesse de lecture peut être ralentie, pour assurer une compréhension en profondeur de l’ouvrage, ou accélérée afin de faire un survol et ainsi identifier les passages contenant de l’information pertinente pour les besoins du lecteur ou de la lectrice[16]. Cette fonction aide grandement les personnes malvoyantes, mais aussi les personnes dyslexiques ou handicapées. L’assimilation de l’information ne passe pas par la manipulation d’un objet, ce qui peut être complexe lorsqu’on a un handicap physique, ni par l’usage de la vue, apportant ainsi une grande aide aux gens avec des capacités visuelles limitées. Cette façon de lire minimise aussi les processus cognitifs nécessaires au décodage des mots à l’écran, un avantage considérable pour les individus ayant un trouble de la lecture.

L’accessibilité, une responsabilité partagée

La création de littérature numérique accessible ne repose pas seulement sur les épaules des éditeurs et des éditrices. C’est un travail qui doit être entrepris par tous les maillons de la chaîne éditoriale. Si les maisons d’édition intéressées par la publication numérique se doivent de créer des fichiers et des plateformes qui offrent de nombreuses options d’accessibilité, les distributeurs et distributrices, libraires et bibliothécaires ont aussi un rôle à jouer.

Il est primordial de créer des métadonnées d’accessibilité, c’est-à-dire qui reflètent le niveau d’accessibilité du fichier numérique. Ces données se doivent d’être conservées par les réseaux de distribution, puis communiquées aux libraires et aux bibliothécaires afin qu’ils et elles puissent les intégrer à leurs interfaces de vente et de prêt[17]. Ainsi, le lectorat est mieux informé du niveau d’accessibilité des ouvrages qu’il souhaite consulter et peut raffiner ses recherches pour obtenir des résultats adaptés à ses limitations. Toutefois, pour mener une recherche efficace, l’interface des librairies, des bibliothèques et de tout autre comptoir de vente ou de prêt doit être elle-même facilement navigable et accessible à l’ensemble de la population[18].

Ainsi, que ce soit au niveau de la production du livre, de sa distribution, de sa vente ou de son prêt, l’accessibilité doit être prise en considération afin d’offrir au lectorat une expérience optimale. Ceci dépend aussi des caractéristiques de l’application de lecture choisie par le lecteur ou par la lectrice[19]. Si un livre numérique est codé pour pouvoir être adapté aux besoins de l’usager ou de l’usagère, mais que la plateforme de lecture n’offre pas les options d’accessibilité, alors la démarche des éditeurs et éditrices est inutile. Il faut donc que les individus chargés de la conception de telles applications s’assurent d’intégrer de multiples fonctions à leur interface afin de garantir l’accessibilité du livre.

Si ce travail peut effrayer certains éditeurs et certaines éditrices par son investissement en temps et en argent, les avantages de la production de livres accessibles sont indéniables. En effet, ce type d’ouvrage attire un lectorat potentiellement plus grand, puisque personne n’est limité dans sa capacité à lire le livre. Le caractère social de cette démarche, dans le but de démocratiser l’accès à la lecture et à l’information, est particulièrement important[20], mais elle revêt aussi un avantage commercial. Par ailleurs, les livres accessibles sont attrayants pour la population générale. Les livres audio, par exemple, peuvent être appréciés par celles et ceux qui sont aux prises avec un handicap dit temporaire : une personne qui conduit ne peut pas utiliser son sens de la vue afin de lire un ouvrage. Elle est donc temporairement démunie d’un sens nécessaire à la lecture. Toutefois, un livre audio lui permet de consulter l’ouvrage malgré cette incapacité momentanée. Ainsi, tout individu peut profiter de la littérature accessible, qu’il ait une déficience perceptuelle ou non.

Évidemment, tout acteur ou toute actrice du milieu du livre n’a pas nécessairement les capacités requises pour créer de tels livres. C’est pourquoi l’ANEL a lancé un appel à soumissions et mentorat. Les soumissions sont octroyées à ses membres afin qu’elles convertissent jusqu’à cinq titres en livres adaptés. Les frais de conversion sont couverts à 80%[21], ce qui réduit considérablement le poids économique qui pèse sur les épaules des éditeurs et des éditrices. Le programme de mentorat, quant à lui, soutient les éditeurs et les éditrices qui veulent devenir autonomes dans la production de livres numériques accessibles[22]. Les trois premières heures sont offertes gratuitement et les suivantes sont payées à 50% par l’ANEL[23] afin de rendre le service le plus abordable possible et ainsi stimuler la création de littérature numérique accessible partout dans la province. Cela peut s’avérer particulièrement utile puisque l’ANEL, en partenariat avec l’eBOUND au Canada anglais et l’entreprise Benetech, a lancé un projet de certification pour les livres accessibles en 2021[24]. Ces programmes peuvent assurer aux maisons d’édition d’obtenir la certification et d’être ainsi reconnues comme des agents importants dans la démocratisation de la lecture et de l’accès à l’information.

Pour en savoir plus


[1], [2] et [3] Secrétariat du Conseil du Trésor, « Standard sur l’accessibilité des sites Web », dans Gouvernement du Québec, [en ligne], 2018. URL : https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/ressources_informationnelles/AccessibiliteWeb/standard-access-web.pdf.

[4]Federica Malinverno, « Accessibility Act : en 2025, les livres européens devront être accessibles à tous », dans ActuaLitté, 23 février 2021, [en ligne]. URL : https://actualitte.com/article/99023/usages-numeriques/accessibility-act-en-2025-les-livres-europeens-devront-etre-accessibles-a-tous.

[5] à [20] Association nationale des éditeurs de livres, « Pourquoi est-il crucial de produire des livres accessibles dès maintenant? », chaîne YouTube de l’Association nationale des éditeurs de livres – ANEL, [en ligne]. URL : https://youtu.be/PKL0j9VKgf8.

[21] à [23] Association nationale des éditeurs de livres, « Appel à soumissions et mentorat », [en ligne]. URL : https://www.anel.qc.ca/dossiers-et-enjeux/innovation-technologie/accessibilite/le-livre-accessible-au-canada-et-dans-le-monde/.

[24] Association nationale des éditeurs de livres, « Pourquoi est-il crucial de produire des livres accessibles dès maintenant? », art. cit., 14 min. 29s.  à 15 min.

0 Shares:
Vous aimerez aussi...
Laboratoire
Lire plus

Ada X : démocratiser les pratiques technologiques contemporaines

Ada X est un centre d’artistes féministe bilingue spécialisé dans les arts médiatiques. Le studio est fondé en 1996 sous le nom de Studio XX (avant d’être renommé en 2020) par Kathy Kennedy, Kim Sawchuck, Patricia Kearns et Sheryl Hamilton. Ada X produit des œuvres médiatiques dans le cadre de résidences d’artistes et offre la location d’espaces et d’équipements spécialisés. En plus de diffuser des œuvres, le studio assure leur promotion et la mise sur pied d’ateliers éducatifs visant la formation et la réflexion.