François Décamp travaille dans le monde du jeu de société depuis longtemps, il est gérant de la boutique Descartes à Bordeaux (France) depuis 1997, et il est à la direction de Tric Trac depuis 2019, et membre du jury de l’As d’or, jeux de l’année de 2016 à 2018.
Beaucoup de jeux de société ont des pans très narratifs ou ont un univers très important. Nous pourrions peut-être commencer notre échange par là. Au-delà du jeu de rôle, beaucoup ont une narration forte qui sous-tend l’univers. Te semble-t-il pertinent d’étudier ces narrations ou est-ce secondaire dans ta pratique ? Ont-elles une place importante dans la production ? La perception du médium ?
Pour moi, le narratif, c’est quelque chose de super important, mais c’est dû à l’historique de ma pratique ludique. Quand j’ai commencé à jouer, au début des années 80, j’ai commencé par jouer aux jeux d’histoires (war games) et aux jeux de rôle.
Peut-être, préciser ce que sont les jeux modernes ?
On les appelle « jeux modernes », par opposition aux « jeux classiques », d’une part, à tablier ou à damier, comme les échecs, les dames, le Backgammon, etc. Et d’autre part, les premiers jeux de société, mais qui n’avaient qu’un faible intérêt ludique : les vieux jeux style jeux de l’oie, le Monopoly, les petits chevaux, où le hasard est tellement prépondérant qu’on peut en arriver à des extrêmes. Comme dans le jeu de l’oie où l’humain n’est pas nécessaire au jeu, puisqu’il n’y a absolument aucun moment où on a une notion de choix quelconque ; à la limite, ce n’est même pas du jeu… On passe un moment, comme on passerait un moment à regarder quelque chose, de façon très passive, mais aucune ou très peu de possibilités d’agir. On va appeler un jeu de société moderne un jeu, justement, où l’humain est mis en avant par rapport au hasard.
Si on laisse de côté le jeu de rôle, évidemment narratif, la part de l’univers est très présente, mais dans des jeux comme The Crew qui est un jeu de plis [aussi appelé jeu de levées au Québec], un univers existe, mais n’est pas prépondérant dans la proposition. Alors que dans d’autres, l’univers est vraiment nécessaire. Est-ce que c’est quelque chose qui a pris plus de place, par rapport aux jeux classiques depuis les années 80 ? Est-ce quelque chose qui s’est développé, ou qui serait resté plutôt constant ?
C’est quelque chose qui se développe de plus en plus, parce que la plupart des auteur.ices de jeux sont des gens qui ont baigné dans des environnements narratifs. Ils ont souvent commencé par des jeux où le narratif était très fort. Les premier.ères auteur.ices qui ont commencé dans les années 1980 ont été très influencé.es par le jeu de rôle et les war games. Le principe des war games est que ce sont des « what if », des « et si » : qu’est-ce qui se serait passé si à la tête de telle ou telle armée, j’avais fait ceci ou cela ? Et on peut le voir, par exemple, sur des jeux comme Les Loups-Garous de Thiercelieux, ou des jeux à identité cachée qui ont découlé de celui-ci, c’est un jeu à élimination directe, ce n’est pas du théâtre d’improvisation, mais on va quand même s’attacher au personnage qui a été donné au début.
On voit donc dans ces jeux-là la part du « rôle » joué par le.a joueur.euse, et c’est ce qui fait naturellement le pont avec les jeux vidéo. On incarne directement le.a protagoniste. Pour les war games, on voit directement ce que ça a donné, que ce soit Civilisation ou des jeux plus de campagne (militaire). Il y a beaucoup de jeux de rôles qui ont été transposés ou adaptés en jeu vidéo ou en jeu de société…
Par exemple, l’univers de l’Appel de Cthulhu, qui a été et qui reste un des jeux de rôle les plus vendus, a été décliné en jeu vidéo et en jeu de société, à savoir du jeu narratif comme Horreur à Arkham ou de jeux de cartes avec des côtés narratifs. On peut voir la même chose avec les versions de Donjons & Dragons (dnd), qui ont été à la base de très nombreuses adaptions en jeux vidéo. On peut citer Diablo ou quasi tous les MMORPG et en jeu de société ou de plateau comme Descent ont du dnd dans leur ADN.
Ces jeux de rôle ont de plus en plus de propositions d’ajouts via le numérique. Je pense à Pathfinder, qui a récemment mis à disposition des cartes et des musiques. Beaucoup de ces jeux de rôle ont ces possibilités d’accompagnement des campagnes pour les maîtres de jeu (la personne qui mène la partie, l’histoire). C’est quelque chose d’important ou de très accessoire ? Personnellement, c’est accessoire : j’utilise plus du papier-crayon. Mais il me semble que c’est très particulier à chaque pratique…
Dans ma pratique, je n’ai pas l’occasion d’utiliser beaucoup de numérique, que ce soit plateau, musique ou autre. Mais avec les confinements qu’on a subis l’an dernier, j’ai eu l’occasion de transposer ma pratique en ligne. On a beaucoup joué sur Roll20. En tout cas, c’est juste le lieu pour avoir dans un seul endroit une application comme Zoom et quelque chose de pensé pour une pratique ludique, avec la possibilité de lancer des dés et que tout le monde les voie, ou de faire passer des plans à l’ensemble de l’équipe ou à un.e joueur.seuse. Je l’utilise comme un outil, mais ça n’a pas changé énormément ma façon de jouer… Cela a permis de continuer des parties qui n’auraient pas été possibles, puisqu’on ne pouvait pas être les uns avec les autres. C’est quand même un outil utile, un nouveau support d’application du jeu.
Beaucoup de jeux utilisent des applications compagnon qui peuvent être à mon sens plus imbriquées dans les dynamiques ludiques. Je pense à Kosmopoli:t où on écoute les commandes des clients dans un casque ; ou à Unlock où tous les scénarios ont besoin de l’application pour être suivis. Quel est l’échange entre la partie plus jeu de table et la partie application ? Peut-être qu’il y a d’autres exemples, d’autres mécaniques qui se mettent en place ?
De toute façon, c’est quelque chose qui n’a pas été énormément développé, du moins pas autant que ce qu’on aurait pu croire. On peut les classer en type de jeu. Ce qu’il faut savoir, c’est que l’application numérique, la plupart du temps sur téléphone ou tablette, même si elle ne joue que sur une petite partie du jeu, elle est indispensable. On ne peut pas jouer sans. Par exemple, sur Unlock, tu ne peux pas faire quoi que ce soit des cartes si tu n’as pas l’application qui va t’expliquer vers où tu dois te rendre ou qui va te le faire ressentir par des façons de plus en plus ludiques. Il y a des scénarios où on va devoir secouer la tablette, souffler sur l’image. Pour Kosmopoli:t, si on n’a pas les commandes, on ne peut pas jouer du tout.
Pour Détective, qui est un jeu d’enquêtes policières, chez Iello en français, on se retrouve comme le personnage principal dans une série TV. On arrive au commissariat le matin et on va devoir gérer une enquête en allant dans différents endroits et selon les endroits où on va aller, on va se retrouver avec l’application qui copie celle qui pourrait être dans le commissariat, pour aller chercher les empreintes digitales, avoir les résultats de tests ADN ou nous servir à faire des recherches non pas sur la plateforme dédiée, mais sur Internet sur les personnages qui vont être impliqués dans l’enquête. On va se retrouver là aussi avec quelque chose qui va essayer de nous rapprocher du réel avec des éléments physiques qui vont être dans la boîte du jeu et qu’on va aller chercher au besoin, et des éléments numériques, mais qui singent complètement l’attitude que pourrait avoir un enquêteur face à son ordinateur pour aller chercher des renseignements ou attendre impatiemment les résultats d’un test. Donc là, il y a vraiment une imbrication complète des deux médias classiques sous forme papier-carton et numérique.
Enfin, il y a un troisième type d’application où elle est là pour soulager les joueur.euses de l’énormité des règles. Ça va être des jeux comme First Martians, un jeu dans lequel on se retrouve à coloniser Mars ; où on a beaucoup beaucoup de critères qui vont intervenir. Pour se fixer sur le côté ludique et amusant, on va laisser l’ordinateur gérer les trucs un peu pénibles : genre les fuites, les rapports, l’informatique, etc. Et aussi des applications qui sont sorties sur beaucoup de jeux de l’éditeur FFG, que sont Descent, Assaut sur Empire ou encore Le Seigneur des Anneaux qui sont des jeux d’exploration de donjons, où on va avoir beaucoup de matériel, des figurines, etc. La tablette va être là pour remplacer le maître du jeu. Dans la proposition de ces jeux, le maître va gérer le donjon et va faire jouer d’autres joueur.euses de façon un peu «jeu de rôle», très très simplifié. La proposition de ces applications sur tablette est de remplacer ce rôle de maître du jeu, pour que chacun.e puisse jouer pareil et avoir le plaisir de la découverte de la planète suivante, de la salle suivante, du souterrain qui s’ouvre, etc.
Ces applications créent des gameplays très différents, en unifiant les expériences, par exemple pour les derniers jeux cités. Par rapport à l’immersion, j’ai l’impression que ça rajoute quelque chose, par exemple pour Détective, en mimant ce qui pourrait exister, on serait plus proche de l’histoire ?
On s’y croit complètement ! On est totalement happé par le récit ! Dans le cas des jeux d’exploration de donjons, surtout Descent et Assaut sur Empire, l’application en profite aussi pour ajouter de la musique qui va changer selon ce qu’il va se passer. Donc là aussi c’est une façon de rentrer encore plus dans l’histoire.
Et de faire appel aux codes narratifs d’autres médiums, comme le cinéma. On parlait des gestes qui sont plutôt propres aux jeux vidéo de secouer, souffler… Est-ce que c’est très répandu où c’est propre à Unlock ?
Pour les gestes, c’est de plus en plus présent ! Dans les scénarios de Unlock, c’est dû au fait que depuis quelques boîtes, trois, je crois, la partie application qui était gérée en interne par les Space Cowboys (l’éditeur du jeu) a été confiée à Volumiques qui a un savoir-faire qui se voit. Ça a permis de repousser les limites de ce qu’il était possible de faire notamment sur les dernières boîtes. On a au moins un ou deux effets waouh par scénario sur les techniques qui sont employées par l’application.
Est-ce que cet effet “waouh” est juste un attrait technique, une sorte d’intérêt comme avec la Wii U qui ne va pas durer ?
Oui, parce que ça surprend à chaque enquête. Ils ne se reposent pas sur leurs lauriers. Pour l’instant, on a un twist surprenant pour chaque enquête qui mêle à la fois l’enquête comme on peut la suivre sur les cartes, et les propositions techniques adaptées qui ont été trouvées par les développeurs de la partie applicative.
Volumiques, c’est aussi une maison d’édition qui se concentre sur la détection d’objet. Ils ont fait d’autres jeux, je pense au Monde de Yo-Ho par exemple, qui a eu un certain succès. Chez eux, le numérique est très important. Ils sont beaucoup développeurs d’applications aussi. Est-ce qu’on aurait d’autres exemples de jeux qui reposent sur la détection d’objet ? C’est une technique qui me semble intéressante et qui est beaucoup utilisée par l’écosystème Nintendo, mais moins, j’ai l’impression, en jeu de société ?
On le voit en jeu de société sur certains des derniers scénarios Unlock, où on va montrer une carte à la caméra et on va se retrouver avec de la réalité augmentée et on va pouvoir explorer des trucs sur sa carte qu’on ne voyait pas à l’œil nu. Il y a un autre jeu d’enquête qui reprend ça, Chronicles of Crime ; il y a plusieurs boîtes qui sont sorties, et on se retrouve là aussi avec l’utilisation d’une application sur tablette qui va nous permettre de regarder des scènes de crimes notamment en réalité augmentée. Ils ont même sorti une petite extension pour leur jeu, une paire de lunettes en carton renforcé où on peut placer son téléphone pour rendre l’expérience encore plus prenante.
On a de plus en plus de ces systèmes pour avoir comme des casques de réalité virtuelle en carton avec le téléphone intelligent qu’on utilise au quotidien sans avoir à investir dans un objet supplémentaire. On peut aussi parler des jeux qui ont fait le chemin inverse, qui étaient des applications ou des jeux vidéo et qui sont devenus des jeux de société. Je m’intéresse particulièrement à Reigns, mais il y en a beaucoup d’autres. Est-ce que c’est une remédiation, un passage d’un média à l’autre qui est intéressant ou au contraire cosmétique ? Il y a beaucoup de jeux tirés de jeux vidéo qui sont finalement des portages assez classiques, qui n’apportent pas grand-chose ni à l’univers ni aux mécaniques de jeu en tant que telles. Pour Reigns, c’est assez différent, puisqu’on passe d’une application reposant sur le swipe [balayage] à un jeu de cartes. On déplace le propos et le geste ludique. Il y a d’autres exemples ?
Il y en a quelques-uns, mais on est souvent un peu déçu de la façon dont c’est adapté. Il y a quelques exceptions, tu parlais de Reigns. Il y en a une autre qui a été adaptée de ce type de jeu, mais sans licence particulière, c’est le Dilemme du roi qui est, à mon sens, encore plus réussi que les jeux vidéo dont il est inspiré parce qu’il y a vraiment une narration très très forte qui en fait une vraie réussite. On peut aussi nommer Fall out, qui a eu plusieurs déclinaisons, mais la version jeu de plateau était particulièrement réussie avec un système narratif à base de cartes qui te fait complètement rentrer dans le truc. Il n’y a pas énormément de jeux qui m’ont marqué. On peut en citer un dernier, This War of Mine, où on trouve un univers et une narration qui sont aussi désespérés que le jeu vidéo dont il est tiré, mais à la limite, cette fidélité a plutôt nuit au jeu. On a une telle «loose» quand on sort d’une partie, qu’on n’a pas envie d’y rejouer…
Au final, la remédiation a fonctionné, puisqu’on a conservé l’ambiance qui était construite. Tu pourrais peut-être nous en dire plus sur le Dilemme du roi, qui est une grosse réussite et qui a beaucoup marché ici au Québec.
Le Dilemme du Roi, en fait, te propose par un système de choix qui va être fait par tou.te.s les joueur.euses, de faire évoluer plusieurs lignes narratives [storylines] en même temps. Avec une principale et plein d’autres. On retrouve le système de narration qui était choisi pour Reigns, ou d’autres en jeu vidéo : on est face à un dilemme et on doit impérativement faire un des deux choix suivants. Mais là, c’est en multijoueur, puisque tous les joueur.euses vont discuter de savoir si on fait l’un ou l’autre choix. Il y a quelques règles qui permettent d’appuyer une décision, certain.es vont avoir plus d’influence que d’autre pour influer sur un vote. On va petit à petit, au fur et à mesure des parties, faire évoluer les différentes narrations, les différentes lignes narratives. Ce qui rend le jeu très intéressant, c’est qu’on a à la fois un royaume que tous les joueur.euses doivent faire évoluer ensemble, mais chacun.e est à la tête d’une famille régnante qui a des intérêts qui ne sont pas forcément les mêmes que les autres joueur.euses ni que le royaume lui-même. Il y a une imbrication entre plusieurs choix, le dilemme va se poser au niveau du groupe et au niveau des joueur.euses avec des implications différentes.
C’est un portage d’un jeu de société du concept hypertextuel et des narrations à embranchements qu’on étudie en littérature numérique…
Mais vraiment super réussi !
Des exemples comme ça, je n’ai pas l’impression qu’il y en ait tant : des jeux qui sont narratifs… des jeux qui ne récupèrent non pas des licences du jeu vidéo, mais qui adaptent des mécaniques de jeu, si là on peut penser à l’hypertexte. Si on pense à Micro Macro, on a beaucoup de propositions de recherche en numérique.
Pour Micro Macro, la création s’est faite en collaboration avec un éditeur de jeu vidéo et un éditeur de jeux classiques.
Ils ont eu des prix…
OUI ! L’As d’or cette année. Mais à la base, il a été développé aussi avec un studio de jeu vidéo qui développait une application qui lui ressemblait beaucoup. Pour revenir un instant sur l’interrogation qu’il n’y ait pas tant de jeux que ça sur ce profil, à la complexité de ces jeux-là, c’est aussi dû au coût de développement. Développer un jeu comme ça, ça va représenter pour un.e auteur.ice ou un groupe d’auteu.ice.s, un ou deux ans de travail, plus 6 mois de tests de jeux de la part de l’équipe créative ou éditoriale, avant de passer au développement du jeu lui-même niveau problèmes de fabrication, illustrations, etc., etc. Ce sont des jeux très coûteux en temps, ce qui freine leur diffusion. Il faut avoir en tête qu’en jeu de société, les créatif.ve.s ne sont pas des dizaines comme en jeu vidéo où il y a toute une équipe, avec des gens qui font tout pour les laisser penser. Dans le jeu de société, il y a souvent un.e ou deux auteur.ices qui doivent tout faire ; c’est à la fois très long et très prenant.
Pour revenir à des questions narratives, on parlait des jeux de rôle au début de notre échange. Il y a des jeux adaptés en romans, je pense aux sagas autour de magic, the gathering, qui créent des univers étendus. On peut penser aux jeux Star Wars qui participent à l’univers étendu…
Pour Star Wars, c’est à la base de l’univers étendu, c’est le premier jeu de rôle de Star Wars de 1987, celui de WEG, qui le démarre. Il n’y avait aucun texte ou documentation sur l’univers avant. Ce sont les créateurs du jeu qui sont allés voir les gens de Lucasfilm pour leur extirper toutes les infos. Pour les principaux bouquins, fin des années 80, c’est à partir de là que les auteur.ice.s des romans sont allé.es piocher des infos et c’est aussi à partir de là que les équipes de Lucasfilm ont commencé à faire une bible, avec toutes les informations, à déterminer ce qui était codex, plutôt légende, etc. On a vraiment le jeu qui crée l’univers étendu !
Ça crée aussi des ponts avec des aspects plus collectionneurs, que ce soit X-Wing ou Armada qui sont aussi des collections de vaisseaux avec lesquels on peut jouer, et pas uniquement des éléments narratifs. Je me demande quels échanges existent entre les jeux et les univers littéraires ? On a les deux, plus des jeux vidéo, des applications, etc. Ce sont des éléments qui échangent énormément ? Dans Magic, les cartes sortent avant les romans… ou est-ce que c’est très poreux ?
C’est une volonté de beaucoup d’éditeurs de jeux. De la même façon que les éditeurs de jeux vidéo ou les éditeurs de films essaient d’avoir une partie de leurs produits dérivés qui vont vers les romans. C’est une volonté forte de beaucoup d’acteurs du jeu de société : Games Workshop (avec les univers de Warhammer et Warhammer 40.000) qui a créé un département «nouvelles et romans», qui a publié plus de 200 romans. Cela permet de capter leur public de joueur.euses et bien au-delà, vers les amateur.ice.s de fantasy ou de science-fiction. Ou encore Asmodee, qui a monté l’an dernier une filiale dédiée à l’écriture de romans et qui a déjà sorti des romans pour leurs univers forts que sont Horreur à Arkham, Descent, Légendes des 5 anneaux, ou Key Forge, qui est un jeu de cartes à collectionner. En plus, ils ont signé des accords de licence avec Ubisoft pour sortir des romans sur les univers de jeux vidéo.
Est-ce que ça appartient à la paralittérature, à la production qui entoure la production littéraire, par rapport au jeu de rôle, par exemple, savoir si c’est une forme de littérature ou si cela appartient plus au ludique… As-tu un avis sur ces imbrications littéraires ? Même si elles ont moins d’impact sur comment on joue, sur les réceptions ludiques au sens propre… La question se pose sur des pratiques de lecture, on lit cela pour le plaisir, pour soi, pour une envie d’immersion, pas pour des questions d’analyse. Ma question serait par rapport au jeu de société lui-même, est-ce que ce sont des choses qui semblent étudiables au niveau littéraire ? Sur des enjeux de narratologie, de construction de personnages, etc. ou sont-elles complètement déconnectées ? Ou le narratif n’a qu’une part ludique, non indépendante, uniquement dans une pratique de jeux ?
Il y a des deux. Il y a beaucoup de romans qui, bien que dérivés de jeux de société, sont vraiment à considérer comme des romans, s’ils récupèrent des parties de l’univers, ils sont dans l’histoire elle-même déconnectés du côté jeu. On peut citer récemment certains bouquins de Warhammer 40.000 où ils ont fait avancer l’histoire bien au-delà de ce qui est développé dans les jeux. DragonLance pour dnd aussi. Et puis, il y a un autre type, par exemple, un bouquin basé sur Time story qui est un jeu narratif assez fort qui en est à sa 2ème saison, ce sont des univers de voyage dans le temps et l’espace. Il y a eu un gros changement de background et des règles quand il y a un changement de saison, et le roman comble le trou entre les deux saisons. Il y a une volonté à travers le récit d’expliquer un changement dans le jeu.
Est-ce qu’on pourrait pousser cette réflexion, à inclure non pas des romans tirés de jeux, mais des jeux eux-mêmes, dans ce corpus paralittéraire? Par exemple, Roots, qui est un jeu extrêmement narratif. Pour les jeux de rôle, la question se pose différemment avec la notion de développement narratif et de livres de règles (enfin, Roots est un peu à mi-chemin entre un jeu de rôle et un jeu de plateau… mais bon) où du coup il y aurait une analyse littéraire à faire de certains jeux ?
OUI ! Dans certains cas, même s’ils sont peu nombreux. On peut se demander si ce qu’on est en train de lire comme règles ou matériel de jeu ne pourrait pas être considéré comme matériel littéraire.
Pour Call to Adventure, chaque joueur.euse doit raconter sa progression. Il y a toute une phase de jeu autour de ça. On doit raconter la vie de notre personnage avec toutes les cartes qu’on a rassemblé durant la partie. Dans ce cas, on est tellement dans une dynamique narrative qu’on arrive à quelque chose s’approchant du romanesque. Est-ce que ce sont des jeux qui jouent plus sur le narratif (même si la partie mécanique est très intéressante) ? On touche peut-être à la différence entre attrait narratif et attrait ludique…
Dans le cas de Call to Adventure, la finalité de sa mécanique est de raconter une histoire. On la retrouve dans peu de jeux. Deux principaux autres : d’abord Attrape rêve, pour les tout-petits. Pendant la partie, on récupère des jetons avec une illustration de rêve et à la fin, il faut raconter ses rêves avec les différents jetons récupérés. Un autre type de jeu avec ce principe-là, c’est Roll Player, où on construit sa feuille de personnage tout au long du jeu. Quand le jeu s’arrête, les joueur.euses ont leur feuille de personnage comme pour un univers de dnd. On va se plaire à raconter le type de personnage qu’on a créé.
Tu parlais de jeux pour tout-petits. Il y a beaucoup de nouveaux jeux pour petits en ce moment qui se basent sur des livres. Où on fait interagir des éléments, comme des figurines, sur les pages. Ce serait un retour du livre dont vous êtes le héros, ou c’est complètement différent ?
Il y a une structure narrative avec des choix différents qui fait pas mal penser au livre dont vous êtes le héros, mais avec des principes différents aussi. On se retrouve avec des choix, mais avec des mécaniques de combats contre des méchants aussi.
Ces livres dont vous êtes le héros ont quasi disparu, mais beaucoup ressortent. C’est une impression ou cela revient vraiment sur le devant de la scène ?
Le livre dont vous êtes le héros revient, mais pas dans les proportions des années 80. C’était super important, mais il y avait très peu d’autres propositions. Le jeu vidéo était balbutiant. Il n’y avait pas de jeux sur téléphone et tablette, peu de jeux de société… Donc tous les objets ludiques avaient des capacités d’attraction éminemment supérieures à celles d’aujourd’hui où il faut avoir quelque chose de très bon et très visible et beaucoup de chance pour espérer avoir un succès avec son jeu. Pour prendre un exemple concret, en 1986-87, il y avait au niveau jeu de plateau moins d’une vingtaine de sorties par an. Donc tous étaient vendus dans des quantités invraisemblables.
Ce n’est pas que l’objet lui-même ait perdu de son intérêt, c’est qu’il y a tant d’autres possibilités de s’amuser que c’est dilué.
J’ai l’impression que ce sont des choses qui touchent plutôt à la littérature de genre, que ce soit de la fantasy comme pour dnd, de la science-fiction, parfois du roman historique. Est-ce qu’on aurait une tendance de la production à se concentrer sur les genres codifiés, parce que tout le monde va avoir la structure en tête, comme une enquête, par exemple, dont on connaît d’avance le déroulé et les grandes étapes ?
C’est vraiment au moins 80 % de la production, que ce soit proche du polar, de l’aventure, du fantastique ou de la science-fiction. Il faut peut-être se poser la question dans l’autre sens. Est-ce que la littérature de genre ne devient pas la littérature tout court ? Au niveau réception, le dernier prix Goncourt est un roman dans lequel il y a de la science-fiction (L’Anomalie d’Hervé Le Tellier). Il y a encore 2 ou 3 ans, l’académie Goncourt aurait brûlé en place publique tout ce qui est Fantasy ou SF, et là, ç’en est à fond ! Il y en a de plus en plus dans la littérature générale !
Ces propositions sont déjà omniprésentes en jeu vidéo, c’est curieux que ce soit ces genres-là qui ont nourri ces imaginaires. C’est parce que les auteur.ices sont déjà imbibé.es de cette culture-là et l’ont transposée sur leurs créations ou c’est un terreau particulier ? Il y aurait des raisons de mécaniques ou de mécaniques narratives ?
Je pense que c’est d’abord dû au fait même des créateur.ice.s. Parce qu’à partir du moment où tu as une démarche de création, c’est que tu as une démarche de curiosité du monde, une imagination importante, donc forcément, tu te tournes vers ces littératures. Je le vois à chaque fois que je suis dans un salon, un week-end jeu privé ou non. Il y a des références communes qui se retrouvent à 98 % dans les univers des créateur.ice.s. Pas forcément identiques à 100 %. Si on pense au Seigneur des Anneaux, tou.te.s ne l’ont pas forcément lu, mais ont vibré avec Arsène Lupin ou Bob Morane… Il y a toujours, à un moment, ce qu’on appelait avant la littérature de genre. Toujours une imprégnation. Ça peut être que d’une partie de tout ça, mais on retrouve un socle commun des imaginaires.
Cette affirmation est tellement naturelle (rires), que s’iels sont créatif.ves, c’est qu’iels sont nourri.es de littérature populaire, au sens de constitution de références, communes aux gens, un fond culturel commun, partagé, qui permettrait plus facilement d’entrer dans un univers ?
Il y a ça. Il y a aussi l’expérience qui est offerte au.à la joueur.euse. Dernièrement, il y a un jeu où on est dans le cerveau d’un malade en soins terminaux. Malgré la proposition ludique intéressante, les gens n’ont pas envie de jouer un malade en soins terminaux. Les gens ont besoin d’évasion ! On n’a pas envie de jouer un univers proche de son univers quotidien. C’est ce qu’on disait tout à l’heure, on n’a pas envie d’un jeu désespérant. Même si le jeu réussit dans sa proposition. On n’a pas envie de s’y plonger.
Est-ce que du coup, ces univers qui semblent prépondérants ont construit un métatexte ? Par exemple, des éléments communs qu’on n’a plus à expliquer comme les vaisseaux spatiaux ou les dragons (qu’on ne présente plus systématiquement, il est attendu que le.a lecteur.ice sait d’avance de quoi on parle) ? Est-ce qu’il y en aurait dans le monde ludique ? Ce serait les mêmes ? Il y aurait concordance ?
Ah oui ! À tel point que quand quelqu’un va s’échapper de ça, ça va forcément faire le buzz. Si on regarde dans les jeux de rôle comment la magie est gérée : c’est quasi partout pareil. Si un.e auteur.ice propose quelque chose qui diffère totalement de ça, il va faire le buzz. Parce que les gens seront surpris. Ils ne vont pas forcément y adhérer, mais ça va être un élément pour aller y jeter un œil.
Est-ce qu’il y aurait un ensemble de métagestes ? Je pense aux lancés de dés en jeu de rôle ; est-ce que c’est très présent ou ce sont des vocabulaires de gestes très différents pour chaque proposition ?
De gestes… pas vraiment. Il y a, au niveau jeu de société, un vocabulaire commun au niveau de certains types de matériel. Par exemple, le pion en quelques années est devenu le meeple [un pion de forme humaine issu du jeu Carcassonne]. Maintenant c’est comme le dragon, quelque chose qu’on n’a pas besoin d’expliquer. Tout pion est un meeple à partir du moment où il a un élément de figuration.
Ce serait vraiment plutôt un vocabulaire commun d’objets que de gestes. Le jeu de plateau n’est pas un univers très très gestuel à part sur des jeux avec une partie rôliste individuelle, où tu incarnes quelque chose. C’est quand même un type de jeu assez tranquille… Il n’y a pas de choses aussi universelles que le jet de dés dans le jeu de rôle. Il y a trop de façons d’imaginer comment gérer un jeu de société. Il y a forcément la notion de déplacement d’un pion ou meeple mais pas partout, et de trop grandes variations. Je ne pense pas trouver quelque chose d’aussi universel…
Peut-être pour revenir à nos questions narratives, est-ce que ces gestes, aussi divers soient-ils, ont une valeur narrative ? Je pense dans les Colons de Catanes, quand on fait 7 avec le dé et qu’on déplace le brigand, on est sur une influence du jeu qui est assez forte et qui passe par le geste. Est-ce que ce sont des éléments chargés narrativement, ou ce sont des éléments mécaniques pour lesquels on ne trouverait que très ponctuellement des poids narratifs ?
Ça peut se retrouver dans certains jeux où il peut y avoir notamment des notions de compte à rebours. Tu vas avoir une manière de gérer les tours très classiques, tu mets un pion sur une ligne de chiffres et à tant, c’est fini. Il y a des jeux où ce système est repris de manière bien plus dramatique. Il y a un jeu qui est sorti l’année dernière qui s’appelle Tainted Grail et qui est un jeu basé sur la littérature arthurienne vue de façon assez fantastique qui est un jeu à choix narratifs très forts, dans un univers qui va se dévoiler petit à petit au.à la joueur.euse au fur et à mesure qu’on explore, et où il va y avoir en plus de ce qu’on peut faire sur le plateau de jeu, un bouquin avec des paragraphes comme un livre dont vous êtes le héros avec des choix multiples. C’est un univers envahi par le mal, qui se manifeste sous la forme d’une épaisse brume qui recouvre tout le pays et les joueur.euses sont dans une zone où la brume est tenue à l’écart par des constructions-figurines avec un aspect visuel fort, dont la base est une roue crantée qui descend à chaque tour et arrivée à 0, on ne voit plus rien. Il faut trouver de nouvelles zones pour implanter ces bâtiments pour voir plus loin. Sachant qu’on tremble à chaque tour, puisqu’on voit physiquement l’espace se restreindre petit à petit. C’est très marquant dans celui-là, mais il y en a d’autres. L’expérience des Colons de Catane est très bonne aussi, avec un élément de jeu qui renforce le côté dramatique.
On boucle en rejoignant les applications dont on parlait et qui sont aussi un ajout de gestes narratifs, quand on pense aux musiques, à la réalité augmentée qu’on filme sur des cartes…
Je voulais rajouter un truc ! Il y a, c’est rarissime, mais ça existe, des tentatives de jeu multimédia. Par exemple Malfosse, par Damien Maric, qui est basé sur l’histoire d’un village pendant les années 20 dans lequel il y a une malédiction depuis des centaines d’années. Ils ont sorti un jeu de société qui permet d’avoir des informations, puis un roman plusieurs années plus tard et un site internet avec un développement sur d’autres aspects de la malédiction et une application pour Alexa où on avait la possibilité de faire des séances de convocation des esprits qui répondent par Alexa.
Par jeu multimédia, tu entends quoi exactement ? Des jeux multiplateformes ?
C’est-à-dire que chaque plateforme a un aspect différent du jeu et de maîtrise de l’énigme globale. Pour Alexa, il y a Days of Wonder qui a développé un assistant pour Ticket to Ride, où elle est une joueuse additionnelle… C’est assez bluffant !
C’est marginal ?
Je ne pense pas qu’énormément de gens ont Alexa. Et ça demande énormément de rigueur, ce qui est peu compatible avec une soirée jeu entre potes. Si Sophie a oublié de jouer, tu dis « ah bah non, attends, on la laisse jouer », avec Alexa elle ne comprend pas, elle est très peu souple. Si on ne respecte pas tout le jeu et son processus : Alexa plante.
On pourrait imaginer, avec le développement des intelligences artificielles, que ça devienne une pratique très répandue d’avoir des Maîtres de Jeu ou des assistants électroniques comme joueur.euses supplémentaires ?
Certainement ! Mais on en est encore loin ! On est loin de l’automaticité de ce propos, mais les premières bribes sont là. Avec le problème des IA qui ne comprennent pas les accents en français, et il y en a beaucoup (rires).
Un mot sur ces univers multimédias ou multiplateformes. Je suis curieuse de ces propositions, on aurait d’autres exemples, d’autres écosystèmes ? Je veux dire hors du duo jeu-roman, un peu comme pour Star Wars où on peut aller très loin dans les supports proposés. On aurait des exemples moins branding ?
Je pense que la licence la plus forte juste après, c’est l’Appel de Cthulhu. On a vraiment toutes les cases des jeux qui sont cochées que ce soit des jeux vidéo, des jeux de société, de cartes, de trucs à collectionner, et puis les applications pour faire tourner tout ça ! Mais aussi le streetwear. C’est quelque chose qui va toucher toutes les parties des possibles de jeux.
C’est intéressant que ce soit à partir de Lovecraft qui est un des fondateurs de la littérature d’horreur, donc d’un genre littéraire, que tout cela ait dérivé. On est dans des univers très riches littérairement à la base, qui ont donné des branches supplémentaires… sur quelque chose de déjà très touffu. C’est le principe de la littérature feuilletonnante, Lovecraft a beaucoup écrit, s’est parfois contredit, a beaucoup créé et monstres et histoires et strates dans sa production. Ce serait cet aspect feuilletonnant qui serait important dans l’approche du public joueur ?
À mon avis, ce qui a beaucoup fonctionné pour l’Appel de Cthulhu et pour leurs univers dérivés, c’est qu’on est au croisement de plusieurs choses qui vont captiver les gens : un univers littéraire, des histoires et une thématique très proche du polar, côté polar noir, souvent il y a un côté enquête, en plus de l’horreur. Et puis, la dernière chose, surtout lisible dans l’exploitation ludique du phénomène qui ne saute pas aux yeux quand on lit les textes, c’est le côté années 20 avec tout ce que ça a eu de peps, de pétillant, de tout ce qu’on veut, où tout a explosé. Ces années ont fait parler des trucs dans notre imaginaire, c’est super florissant dans la musique, la mode, l’émancipation féminine, etc., et qui plaît autant aux hommes qu’aux femmes. On le voit, il y a beaucoup plus de femmes qui jouent à l’Appel de Cthulhu qu’à dnd qui est un univers beaucoup plus macho.
Honnêtement, pour jouer avec des filles depuis 1982, ça fait un brave moment, on a assisté à quelque chose de fascinant ; on est passés de 5 % à 50 % de joueuses. J’ai longtemps travaillé en boutique de jeu, et maintenant il y a autant de clientes que de clients. Alors que c’était un événement invraisemblable de voir une nana dans un magasin de jeu dans les années 80.
On peut s’arrêter sur cette question-là. Quand j’ai commencé le jeu de rôle, autour de 2010, j’étais la seule fille, il fallait s’inclure dans un groupe de garçons. C’est sans doute un enjeu comme dans le jeu vidéo aussi, de présence féminine et plus d’accessibilité que de présence vraiment. Presque de gardiennage de la porte par des gars qui jouent entre eux ? Je vois de plus en plus de filles qui jouent, mais l’évolution a été assez lente, il me semble…
Ça a été lent, mais ça a été plus le fait du milieu et des éditeurs que de la population de joueurs. En tout cas, de ce que j’ai pu en voir, de mon expérience de joueur et d’organisateur de soirées et de week-ends ludiques, il n’y a que très rarement de la part des joueurs pour les joueuses, il y a eu beaucoup de mal à conquérir ce milieu masculin. Comme tu le disais, ce n’est pas simple quand tu es la seule fille dans une soirée jeu. Mais cette ouverture ne s’est pas faite, le travail de la part des éditeurs ne s’est pas fait. Par exemple, la représentation de la femme dans les jeux de rôle, une guerrière est forcément en bikini en cotte de mailles, avec une poitrine fort opulente. Et encore, à des proportions anatomiquement invraisemblables. De la part des éditeurs, le changement est très récent. Je te parlais de l’Appel de Cthulhu tout à l’heure, ce qui a poussé beaucoup de femmes dans les bras de l’Appel de Cthulhu, c’est que la représentation est intéressante, comme femme professeure, pilote, universitaire, enfin normalement et pas comme une bimbo à demi nue, comme en médiéval fantastique.
À quoi ce serait dû qu’ils n’aient pas fait cette transition ?
Parce que, je pense que ça leur faisait plaisir d’avoir des femmes à moitié nues. C’est tout ce qu’on voit avec le mouvement me too. Il y a une tranche d’âge pour laquelle c’est très compliqué de remettre en cause un certain nombre de choses. On le voit dans le monde du jeu, comme dans d’autres domaines, c’est quand une génération plus jeune arrive aux manettes qu’on prend en compte ces problématiques. En ce moment, je travaille à Tric Trac, et beaucoup avec Mathilde, qui présente les émissions avec moi et Guillaume. On va avoir, grâce à elle, une vision de l’édition de certains jeux, des trucs qui nous échappent et qu’elle se prend en plein dans la gueule. Par exemple, récemment, il y a un jeu où on peut jouer à 4, il y a des personnages prétirés, trois mecs et une nana, c’est du med fan, la nana est assez habillée pour du med fan, mais c’est la soigneuse du groupe…
Sur la chaine YouTube de Tric Trac elle a souvent ce rôle-là de souligner la représentation genrée et ethnique, qui est intéressant même si ça devrait être naturel. C’est intéressant qu’elle prenne des moments pour l’expliquer !
Même maintenant, à chaque fois qu’elle fait ces réflexions, elle se prend des commentaires désagréables sur les réseaux… mais ça évolue, même si ça reste invraisemblable ! Là, on a joué dernièrement à un jeu legacy sur vampires, qui est vampire héritage, où tous les personnages sont des cartes imprimées recto verso, avec une version masculine d’un côté, et une version féminine de l’autre.
On peut, peut-être, avant de clôturer, parler un peu de Tric Trac et notamment du rôle de médiation qu’il peut avoir autant par son site que sa chaîne YouTube que sur les réseaux sociaux. On t’y voit de plus en plus. Quel serait ce rôle pour un milieu beaucoup moins présent dans le champ médiatique que la littérature ou les jeux vidéo, même si on peut penser à Es-tu games ?, ici à Montréal, il y a une quinzaine de chaînes visibles… Est-ce que l’enjeu est important ?
Comme on n’a pas accès aux médias plus classiques, il n’y a qu’avec internet qu’on peut se débrouiller pour donner de la visibilité à ce hobby-là. On est restés bloqués sur un loisir de niche et on s’est fait dépasser par le jeu vidéo qui a accédé aux médias classiques.
Avec la figure du rôliste qui reste négative, alors que le geek est devenu cool…
Le rôliste a perdu le plus gros de son image négative, parce que le battage médiatique négatif a disparu et parmi la génération des nouveaux parents, il ya plusieurs rôlistes ou qui l’ont été. Il y a une plus grande tolérance. En ces temps où tous les parents se plaignent de voir la lecture abandonnée par leur progéniture, le jeu de rôle a l’avantage d’être basé sur des œuvres littéraires. C’est mon côté vendeur de jeu qui parle. Depuis 4 ou 5 ans, le jeu de rôle a évolué pour les parents, qui sont prescripteurs, ils ont une vision très positive du truc, parce que rattaché à des univers littéraires. Et ça pousse leurs ados à lire (rires).
Ce qui boucle bien sûr nos questions de littérature de genre ! Ce serait un retour d’un ensemble de gestes de lecture particuliers, c’est curieux d’imaginer ce sens-là de retour à la lecture, mais le jeu de rôle est à part justement pour ça, puisque pour maîtriser le jeu, il faut lire BEAUCOUP. On a l’image de dnd avec les centaines de volumes, mais même sur des choses plus simples, comme Pathfinder, on a un acte de lecture qui est important avant même de commencer une partie, avant même d’être maître du jeu.
Il y a un jeu, Capitaine Vaudou sur la piraterie. Sur tous les réseaux sociaux et groupes Facebook, il y a énormément de gens qui ont échangé leurs conseils de lectures sur cette période-là, qui pouvaient être très pointus autant historiquement que sur des biographies ! On est entourés de gens très cultivés ! Et pour Lovecraft, on en parlait tout à l’heure.
On retombe sur nos pattes, c’était vraiment très complet ! Aurais-tu quelque chose à ajouter pour conclure ?
Vu l’effet que cela fait sur celleux qui le pratiquent, je ne pourrai que conseiller à tou.tes de jouer !